mercredi 22 décembre 2010

hippélaphe coco...mercial

Allons enfants des Megastore,
Les jours de fête sont arrivés !

Et Marianne braille sur un cheval renne qui se cabre, ce qui commence à faire un beau bestiaire (#1) - elle porte le bonnet phrygien, la hotte en bandoulière, le drapeau révolactionnaire au côté, et les cadeaux s'envolent dans son sillage comme un trésor sous les sabots d'un hippélaphe.



Cette campagne publicitaire - le pouvoir d'achat conduisant le peuple - m'en rappelle de précédentes. L'affiche REVOLVOLUCIÓN que j'avais vue défiler d'une autoroute espagnole, Mao retouché d'un chapeau melon et cigare, pour promouvoir par photoshop je ne sais quelle institution bancaire, etc. et bref : le reversement de la révolution et de son folklore au dossier des arguments de vente après la chute du communisme. La rhétorique révolutionnaire au service du marketing, comme le reste. On voit d'ailleurs l'évolution. Dès ces premières affiches, le parfum de soufre ne tenait plus guère qu'au parfum de jamais vu. Dans le cas de volvo (particulièrement efficace : il n'y avait que la voiture, un fond noir et l'inscription en lettre capitale), la marque venait combler elle-même le vide laissé par l'abandon des idéologies concurrentes, elle était le messie de l'après. Dans le cas de la banque, plus récent, il s'agissait moins de glaner les derniers feux de prestige d'aspirations progressistes déçues par les totalitarismes, que d'échafauder un paradoxe par oxymore, signe d'essoufflement de l'argument de vente : il s'agissait d'enterrer une seconde fois le communisme, en ajoutant à l'un de ses hérauts les plus intransigeants les signes négatifs de son idéologie - il s'agissait de déterrer la tête d'un mort, de la coiffer d'un melon d'épines et de la brandir au bout d'une pipe, d'un cigare. Quoiqu'au fond, peu importait ce mort, ce qui comptait, c'était faire rire aux dépends de l'idéologie vaincue - et encore. Il ne s'agissait de cela que pour faire rire, et il ne s'agissait de faire rire que pour faire vendre. De même, peu importait cette banque plutôt qu'une autre, et il n'est pas indifférent que seule l'image soit restée. Mais bref. Dans les deux cas, seule ou inversée, pour détourner à son profit les miettes de prestige agonistique ou pour raviver par le paradoxe les braises et le soufre qui, peut-être, dorment encore sous les cendres, l'idée de révolution suffisait à faire réclame.

À présent, l'argument en a rejoint d'autres et ne suffit plus à faire sensation, c'est-à-dire à faire pub (#3). On ne considère même plus comme utile de le mâtiner de scandale. Du reste, il s'agit de la révolution française, de la marseillaise qui n'est plus depuis longtemps un chant révolutionnaire, à peine un hymne national, plutôt un chant de stade dont on a du mal à se souvenir les paroles.

Dans cette image, l'idée de révolution est exsangue, malgré le rouge - il en reste seulement quelques signes (le rouge, précisément, un drapeau effiloché, un cri) qui se confondent avec ceux de l'armée (le cheval qui se cabre, l'étendard), et que l'on fait jouer avec d'autres signes (le rouge et blanc, les rennes, les cadeaux, tout l'attirail de la Noël), que l'on croise pour en faire un chant-valise et une photo-valise, bref un logo-valise et un slogan-valise. On y ajoute aussi la dose insciente de signes des temps (la bouche tordue de la femme, son gilet ouvert sur son soutien-gorge rouge, sa peau blanche sur la peau de plastique érubescente du cheval, et reluisante), qui ferait de cette marque guidant le peuple dans ses stores, une vulgarité guidant le peuple chez elle.

Et ce d'autant que le détournement (réussi) de la Marseillaise fait du lecteur un enfant du Megastore érigé en Patrie.

Mais la fatigue me tombe dessus, alors tant pis pour le changement des citoyens en clients (Aux cartes !), des soldats en consommateurs (Signez vos chèques en blanc !) et du cri de Delacroix en cette bouche de femme tordue de toutes les pubs et de tous les excès facturables. Le cri du pouvoir d'achat, oui, qui prend des airs de liberté libertaire. Toutes ces bouches qui font yeah.


D'un point de vue tragélaphien, toutefois, il est intéressant de noter que ce cheval rouge à ramures doit réveiller l'idée des rennes de noël. Mais les bois sont ceux d'un cerf (#2).

Excipit la chevauchée virginalo-capitaliste

3 commentaires:

  1. (#1) Brailler, c'est l'âne (°bragulare, braire). Se cabrer, c'est la chèvre (comme le rappelle François Poplin dans un article sur Marie Noël...).

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  2. (#2) Il faudrait donc plutôt écrire: égérie braillant comme un âne et montant un cheval qui "fait la chèvre" (Poplin) et que surmontent des bois de rennes empruntés, pour le signifiant, à la ramure du cerf. Ce qui commence à faire beaucoup pour une Chimère, d'autant que le nom de la multinationale inviterait presque à considérer le tout comme une bien improbable vierge à la licorne rouge (croisement entre l'âne géant de Ctésias et l'anecdote de Pline ou d'Ælien, je ne sais plus).

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  3. (#3) Il faudrait nuancer. Ajouter notamment la campagne récente d'Edouard Leclerc reprenant le crédo d'une révolte populaire pour faire passer sa politique d'écrasement des petits producteurs sous les couleurs d'une lutte politique pour "le pouvoir d'achat", contre le pouvoir tout court. Il serait intéressant de comparer les deux iconologies: d'un côté, l'image minimaliste cherchant à capter le potentiel de "grogne" (mot à la mode) et l'idée montante "d'achat citoyen" - potentiel commercial, s'entend - et d'un autre côté, l'image baroque visant un tout autre public, et de toutes autres obédiences dans ce public. Pour faire simple (et faux) : rouge coco contre rouge bobo.

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