jeudi 23 décembre 2010

l'inconscient est un enfant prometteur

G. étant de passage, nous en avons profité pour dîner ensemble. On nous fait assoir à côté d'un couple. Immédiatement le couple m'est antipathique. La femme, surtout. Tout à fait le genre de personne avec qui je ne veux rien avoir à faire dans la vie : le genre qui vous signifie par sa posture même que quoi qu'il arrive, de toutes façons, il ne s'établira pas l'ombre d'un contact entre vous. Elle me déplaît, me gêne au point que je demande plusieurs fois au serveur de nous changer de table, ce qui est loin d'être dans mes habitudes. Rien n'y fit. Il fallait rester à côté de ce couple et de leur conversation sur le mal de mer et ses conséquences détaillées. Je tâchai de rester dans notre conversation italienne, mais le français tapageur venait sans cesse frapper à mes oreilles - plutôt entrait dans mes oreilles sans jamais prendre la peine de frapper. Plusieurs fois, je me surpris à penser : ils étaient là quand nous sommes arrivés, ne partiront-ils pas bientôt ? Et puis, au moment où je ne m'y attendais plus, ma pensée a pensé un peu plus fort que devant, et ma baguette est allée frapper le goulot de ma bouteille de bière qui se renversa vers la droite, un peu en arrière, sur mon ennemie. Ma main aussitôt fila vers le goulot, releva la bouteille et je perdis finalement assez peu du précieux breuvage. Mais ce qui était échappé ne l'avait pas été en pure perte - rien n'était tombé par terre, sinon droit sur la chemise, le pantalon et le manteau de la femme dont la réaction fut celle, sans doute, que j'aurais prédite si j'avais un instant songé à cette situation : il n'était rien arrivé, une pluie de bière s'était abattue sur elle, mais nulle cause humaine derrière tout ça, allons, monsieur, ça va, cessez, pourquoi m'adresser encore la parole, il ne voit donc pas que je ne le vois pas, qu'est-ce qu'il me veut, cet exclu du village de ma vie ? le tout dit par le silence d'une posture, etc.

Cette idée d'une agression inconsciente pour faire déguerpir quelqu'un qui m'était profondément antipathique nous vint presque immédiatement à l'esprit, à G, comme à moi-même, et nous en fîmes les choux gras de nos rires, sinon les choux de nos rires gras.

Je racontai les jours suivants plusieurs fois l'anecdote, malgré mon peu de goût pour les redites.

Et me suis dit ce soir, que la ruse était pourtant bien faible, que si je l'avais fait exprès, consciemment, je me serais trouvé bien peu inventif, sans doute. Bref, nul on en moi n'aurait cru bon de s'extasier De même qu'un adulte aurait peine à revendiquer la gloire de savoir sa table de trois par cœur.

Mais à la réflexion, là, maintenant, je ne suis pas sûr qu'il n'y ait pas une part d'illusion dans cette idée que l'on créditerait l'inconscient d'une intelligence supérieure à celle dont il jouit réellement, par cela même qu'il nous échappe. Après tout, il n'en reste pas moins que dans l'hypothèse précédente, il y a une faute de raisonnement : c'est que jamais, précisément, je n'aurais fait consciemment ce que mon geste malheureux n'a pas hésité une seconde à accomplir. Et l'inconscient me bat au moins sur le terrain du just do it, et que c'est peut-être cela, plutôt, qui m'en impose. Sans compter qu'après tout, ce que réclamait la ruse, c'était l'efficacité au moins d'une vengeance. Et si le désir n'était pas entièrement comblé (j'eusse aimé, sans doute, la voir plier bagages aussitôt), il fut du moins dédommager façon talion. J'avais eu jusque là l'oreille salie de ses conversations, elle repartirait dans un fumet de bière.

Peut-être aussi que ce qui nous réjouit, dans ces actes à la manque, c'est non seulement le culot, l'efficacité simple d'un plan de vengeance sans chichi, mais l'adresse dans son exécution, la précision du geste qui me fit ne pas perdre une goutte du liquide, réservant chaque trait à ma soif ou à ma victime. Sur ce point, voir Freud et sa statue cassée par une maladresse pareillement adroite.

Mais la vraie question serait plutôt : qu'aurait fait mon inconscient s'il avait eu pour agir autre chose qu'une paire de baguette et une bouteille de bière ? Aurait-il agi dans d'autres circonstances moins favorables ? et peut-être ajouté à l'adresse de Lucky Luke et au sang froid de Guillaume Tell le système D de MacGyver ? Se serait-il abstenu ? et en ce cas, pourquoi ? Parce qu'il aurait séché, qu'il n'aurait rien trouvé, sinon plus fort que lui ?

Ou bien parce qu'il a pris prétexte de la bière pour oser... ou que son inconscient à lui ait pris prétexte de la bière pour se satisfaire, dans un jeu de mot, de ce devant quoi mon pleutre d'inconscient aurait quant à lui reculé, de ce à quoi il aurait de lui-même renoncé, à quoi il n'aurait pas même songé, qu'il aurait nié, et ensevelir ma voisine encore vivante dans sa bière (#1).

Excipit l'inconscient au carré de susucre

mercredi 22 décembre 2010

hippélaphe coco...mercial

Allons enfants des Megastore,
Les jours de fête sont arrivés !

Et Marianne braille sur un cheval renne qui se cabre, ce qui commence à faire un beau bestiaire (#1) - elle porte le bonnet phrygien, la hotte en bandoulière, le drapeau révolactionnaire au côté, et les cadeaux s'envolent dans son sillage comme un trésor sous les sabots d'un hippélaphe.



Cette campagne publicitaire - le pouvoir d'achat conduisant le peuple - m'en rappelle de précédentes. L'affiche REVOLVOLUCIÓN que j'avais vue défiler d'une autoroute espagnole, Mao retouché d'un chapeau melon et cigare, pour promouvoir par photoshop je ne sais quelle institution bancaire, etc. et bref : le reversement de la révolution et de son folklore au dossier des arguments de vente après la chute du communisme. La rhétorique révolutionnaire au service du marketing, comme le reste. On voit d'ailleurs l'évolution. Dès ces premières affiches, le parfum de soufre ne tenait plus guère qu'au parfum de jamais vu. Dans le cas de volvo (particulièrement efficace : il n'y avait que la voiture, un fond noir et l'inscription en lettre capitale), la marque venait combler elle-même le vide laissé par l'abandon des idéologies concurrentes, elle était le messie de l'après. Dans le cas de la banque, plus récent, il s'agissait moins de glaner les derniers feux de prestige d'aspirations progressistes déçues par les totalitarismes, que d'échafauder un paradoxe par oxymore, signe d'essoufflement de l'argument de vente : il s'agissait d'enterrer une seconde fois le communisme, en ajoutant à l'un de ses hérauts les plus intransigeants les signes négatifs de son idéologie - il s'agissait de déterrer la tête d'un mort, de la coiffer d'un melon d'épines et de la brandir au bout d'une pipe, d'un cigare. Quoiqu'au fond, peu importait ce mort, ce qui comptait, c'était faire rire aux dépends de l'idéologie vaincue - et encore. Il ne s'agissait de cela que pour faire rire, et il ne s'agissait de faire rire que pour faire vendre. De même, peu importait cette banque plutôt qu'une autre, et il n'est pas indifférent que seule l'image soit restée. Mais bref. Dans les deux cas, seule ou inversée, pour détourner à son profit les miettes de prestige agonistique ou pour raviver par le paradoxe les braises et le soufre qui, peut-être, dorment encore sous les cendres, l'idée de révolution suffisait à faire réclame.

À présent, l'argument en a rejoint d'autres et ne suffit plus à faire sensation, c'est-à-dire à faire pub (#3). On ne considère même plus comme utile de le mâtiner de scandale. Du reste, il s'agit de la révolution française, de la marseillaise qui n'est plus depuis longtemps un chant révolutionnaire, à peine un hymne national, plutôt un chant de stade dont on a du mal à se souvenir les paroles.

Dans cette image, l'idée de révolution est exsangue, malgré le rouge - il en reste seulement quelques signes (le rouge, précisément, un drapeau effiloché, un cri) qui se confondent avec ceux de l'armée (le cheval qui se cabre, l'étendard), et que l'on fait jouer avec d'autres signes (le rouge et blanc, les rennes, les cadeaux, tout l'attirail de la Noël), que l'on croise pour en faire un chant-valise et une photo-valise, bref un logo-valise et un slogan-valise. On y ajoute aussi la dose insciente de signes des temps (la bouche tordue de la femme, son gilet ouvert sur son soutien-gorge rouge, sa peau blanche sur la peau de plastique érubescente du cheval, et reluisante), qui ferait de cette marque guidant le peuple dans ses stores, une vulgarité guidant le peuple chez elle.

Et ce d'autant que le détournement (réussi) de la Marseillaise fait du lecteur un enfant du Megastore érigé en Patrie.

Mais la fatigue me tombe dessus, alors tant pis pour le changement des citoyens en clients (Aux cartes !), des soldats en consommateurs (Signez vos chèques en blanc !) et du cri de Delacroix en cette bouche de femme tordue de toutes les pubs et de tous les excès facturables. Le cri du pouvoir d'achat, oui, qui prend des airs de liberté libertaire. Toutes ces bouches qui font yeah.


D'un point de vue tragélaphien, toutefois, il est intéressant de noter que ce cheval rouge à ramures doit réveiller l'idée des rennes de noël. Mais les bois sont ceux d'un cerf (#2).

Excipit la chevauchée virginalo-capitaliste

mardi 21 décembre 2010

Charles Baudelaire, poète comme X

N.D. me prête un livre que je ne connais pas :


Je l'ouvre, il s'agit d'un album par planches. La structure en est à peu près fixe : "X Y, il [locution verbale au présent]" Où X, Y sont les nom et prénom d'un auteur français du siècle dernier - je veux dire du XXème. Puis la planche déroule en quatre cases l'action énoncée par la première, souvent de façon dérisoire. Le principe est le plus souvent d'illustrer ou de détourner l'une ou l'autre caractéristiques célèbres d'un écrivain, une anecdote connue de sa biographie, ses tendances politiques (Céline, Brasillach), un trait peu reluisant de caractère avéré ou non (Sartre, Léautaud, Apollinaire), une citation fameuse (Breton), son protocole d'écriture (Michaux et les drogues, Machin et l'ennui), etc. Un petit livre épatant sur la réception de la littérature et sur les idées toutes faites que les salons des conversations colportent, à coup de dictionnaire Larousse ou de Lagarde et Michard. C'est parfois très réussi, parfois moins, bref. Et puis, soudain, au second tiers du livre, peut-être, assez loin en tout cas pour qu'on en soit surpris, cette planche :

Et quelques remarques en passant :

1) Baudelaire est le seul écrivain à être représenté dans l'exercice de la profession : la plume à la main - parce qu'il est LE poète ?

2) En comparaison, Apollinaire trouve une rime par hasard au commissariat, Michaux déplore de ne pas faire d'expérience hallucinatoire "plus littéraire", et Machin (je ne me souviens décidément plus de quel romancier il s'agit) aurait bien écrit un livre, mais il a perdu son crayon. Ce dernier exemple, surtout, vaut qu'on le lui compare. Au contraire des deux autres qui illustrent la part de hasard ou de hasardeux dans le processus créatif, Baudelaire et Machin tiennent (au moins potentiellement) tous deux l'instrument qui leur permet d'écrire. Et au crayon du romancier s'oppose la plume du poète. L'exactitude historique, parfois, vient au secours du stéréotype à relayer (à vérifier - cf la plume de fer qui gratte le papier dans une lettre de CB à GF).

2) Ce qui semble suggérer que Baudelaire est là en tant que poète par excellence, c'est qu'il marque également le décrochage de l'œuvre par rapport à son contrat implicite initial : il semblait plutôt s'agir jusque là d'auteurs du XXème siècle, comme le suggèrait aussi le titre parodique. Comme si la littérature moderne - dans les représentations que le grand méchant On s'en fait - dérivait de l'œuvre de Baudelaire, ou plutôt de Baudelaire à l'œuvre, puisque c'est sa position d'écrivain dans le monde qui est ici mis en images (voir 5).

3) Que ce soit un poète, aussi, n'est pas anodin. Le seul autre écrivain français du XIXème siècle, et qui lui fait pendant, est aussi un poète, Verlaine, qui n'est pas caché dans l'herbe, mais qui cache, lui aussi, LE poète, Rimbaud, mais qui a fait le choix de la vie, le choix du vin - qui a pris l'injonction de Baudelaire à la lettre (Enivrez-vous ! qu'il nous disait, Renivrez-vous ! qu'il ajoutait) et qu'on voit non pas la plume à la main, mais une caisse d'alcool dans les bras. Non pas assis à son bureau - pour s'en aller s'isoler dans la cave à charbon, et y descendre comme on monterait dans une tour d'ivoire renversée - mais entrant en cours de cases et revenant du magasin, de la rue. Baudelaire vs. Rimbaud, autre image attendue et ici esquissée par la mise en parallèle des deux couples en leur intérieur.

3 bis) Je voulais juste dire que la poésie est chargée de dire les antécédents prestigieux de la littérature. Au contraire, les écrivains précédents se partageaient entre romanciers et poètes, plutôt minoritaires. La politique d'ouverture se poursuivra d'ailleurs par deux figures d'outre-Rhin : Freud (la planche que je préfère), et Nietzsche. L'allemagne étant un "peuple de [penseurs]", comme vous savez. (Le choix est là encore très bon, et aussi de les mettre en regard. Il y aurait d'ailleurs à dire de la présence dans les deux cas de l'enfance : Freud en ennemi de son neveu, Nietzsche gâteux retombé en enfance, et qui, en somme, a pris le parti de cette dernière)

5) Les traits retenus pour la planche "Baudelaire" sont donc : "poète", et : "en butte contre le monde extérieur représenté par la voix prosaïque d'une maîtresse qu'on ne voit pas, qu'on n'écoute pas, mais qu'on entend". Bref, l'éternelle et en effet très-baudelairienne tension entre la poésie et le monde, l'écriture et les exigences matérielles, la muse bleuie par le froid de l'hiver, la soupe, et les nuages. C'est du reste une planche qui illustre à la perfection ce dernier poème en prose ("La soupe et la nuage"), une fois qu'on l'a mâtiné un peu du poème "Paysage", autre poème d'intérieur (mais en vers) où le poète veut s'isoler du monde dans sa mansarde comme dans une tour d'ivoire où il pourra créer à son aise.

6) Ce dernier point suscite une remarque d'ensemble sur les ressorts comiques de ce morceau de bande dessinée. Le scénario de la planche et sa pointe sont les suivants : Baudelaire est en train d'écrire "Le Serpent qui danse", que Sardon a sans doute choisi pour sa valeur emblématique de "classique". Quand on arrive, in medias res, le poète a déjà écrit le premier octosyllabe, et les quatre premiers pieds du second vers qui en compte cinq. Enfin, qui doit en compter cinq, puisque l'effet comique est amorcé par le fait que le lecteur connaît déjà le poème, et sinon le dernier mot, tout au moins le rythme, comme une musique. Il faudra au poète les quatre cases pour trouver la syllabe manquante. Le rapport "longue durée"/"mot court" renforce l'effet comique, ainsi que le mot qui sera finalement retenu : "beau". La chute comique suscite donc une manière de "tout ça pour ça" de la part du lecteur. Mais au niveau du trait parodié (la difficulté d'être poète à l'apogée du capitalisme), l'adjectif final est on ne peut mieux choisi: il s'agit bien, en effet, de trouver ce "beau" que le monde s'échine à écarter de vous. D'autant que le lecteur avisé aura remarqué que l'auteur du Comix, emporté par sa logique de pastiche du processus créateur, avait remplacé la "chère indolente" du poème original par une "belle indolente". Bref, ce Sardon - dans le nom ou le pseudo duquel pouffe un rire sardonique - a soigneusement monté la machine à pastiche de ce joli bout de bd.


Et Xipit le Baudelaire dessiné

samedi 2 octobre 2010

interdit d'être


(très belle image que p. z. vient d'accrocher à l'un de nos murs communs)

Excipit to be not or not to be

jeudi 29 juillet 2010

Serpents de vers

A rapprocher de la préface à Houssaye, où Baudelaire réactive le jeu de mot vers / serpent, le début de l'article de Gautier sur Chapelain, article publié en 1835 dans La France littéraire. On y voit un père atteint de poésophobie ouvrir le tiroir de son fils, craindre d'y trouver "un petit serpent frétillant, sifflant et dardant sa petite langue fourchue", voire "un gros scorpion bouffi", mais il trouve "quelque chose de plus affreux" :

Une simple feuille de papier formidablement blanche par les bords et non moins formidablement noire dans le milieu, ayant à droite et à gauche deux marges inexplicables, et de l'aspect le plus équivoque du monde.

Il est trop tard, le "cher fils est attaqué des vers".

On trouve cela sur Gallica (hic).

Excipiunt l'anguis sub *versa

mardi 4 mai 2010

Extrait d'un livre futur


J'étais assis dans le secteur de la Bibliothèque nationale de Berlin consacré à l'Europe de l'Est. En face de moi flottait au vent un drapeau que je regardais désormais presque machinalement, car il avait déjà été l'objet de mon attention soutenue, quelques temps auparavant. Il y avait une ou deux semaines, en effet, je m'étais assis là, plus maussade qu'à l'ordinaire, plus fourvoyé, aussi, dans ce refus de la vie que peut être parfois la lecture assidue des livres, assidue, mais non plus saine. Ce que dit Baudelaire des mauvais livres dont la lecture donne une envie de grand air proportionnelle peut l'être aussi des bons. Tout est une question de morale. J'étais à ruminer ces pensées nietzschéïsantes quand le mot EVIL vient les résumer devant mes yeux. Puis je m'étonne que le mot EVIL flotte sur un drapeau qui claquait en silence derrière les vitres, au loin, entre ma table et le musée d'art moderne, et sur quoi mes yeux, machinalement s'étaient posés. L'inconscient a l'œil du lynx, la griffe du chat et le bond du tigre et c'est dans cet ordre que les choses se sont passées : le mot s'est affiché, puis je me suis rendu compte que je l'avais lu, puis où je l'avais lu, puis cela m'a surpris, et j'ai regardé, j'ai rappelé les brebis dispersées de mon attention et les ai rassemblées, j'ai regardé, et j'ai compris mon erreur : le drapeau était destiné aux visiteurs du musée et je lisais l'envers : ce qui était imprimé sur la toile, c'était le mot LIVE. On se serait cru dans un conte de Poe. Mais quelques jours plus tard, que je me sentais revivre et n'y resongeais plus, je lève le nez entre deux phrases et remachinalement lis : LIVE. Nouveau temps de latence, nouvel étonnement, nouveau tilt : ce n'est pas que le drapeau soit dirigé pour tel ou tel, c'est le vent qui en tournant dira si aujourd'hui l'on doit lire d'est en ouest ou du nord au sud. Durant les jours qui suivirent, j'évitais cette place car je craignais d'y voir un baromètre de mes humeurs, et une telle superstition ne manque pas d'avoir son effet sur nos journées, comme en témoignent les bulletins météhoroscopiques diffusés chaque matin sur les ondes, bonnes ou mauvaises. Mais cela faisait, disais-je, quelque temps. Aujourd'hui, j'avais déjà repris mes habitudes depuis un jour ou deux et je m'étais rassis face au musée, devant la glace et les drapeaux. Un coup d'œil en arrivant m'avait tout de même averti que l'absence de vent sonnait la trêve des pile ou face, et faisait, pour ainsi dire, tomber le drapeau sur sa tranche.
J'étais donc en train d'écrire. Enfin, j'étais en train de réfléchir à ce que j'allais écrire, car je m'étais remis au travail, après avoir songé aux dangers, pour l'exégète, de vouloir, dans une sorte d'hybris interprétative, pousser ses chiens toujours plus loin et sa proie dans d'improbables retranchements, d'où elle a souvent tôt fait de s'évaporer, comme le cadavre dans les lieux clos des romans policiers. Je me disais que ce devait bien être quelque chose qui m'intéressait vraiment, puisque ça revenait sans cesse sous ma plume et dans ma tête. Mais j'étais revenu à mes moutons.
J'étais donc en train de réfléchir à ce que j'allais écrire, quand devant moi quelque chose ondula. Et bientôt je n'étais plus que cette forme se métamorphosant en cette autre. Latence, regard, compréhension : le vent s'était levé et faisait ondoyer le drapeau blanc où je lisais naguère livevil en rouge, dans le fin encadré au sommet du drapeau. Je n'avais, selon la loi édictée par Poe dans La lettre volée, pas encore prêté attention aux caractères noirs et plus épais qui se déroulaient dessous, dans le même sens, à savoir de bas en haut et la base des lettres côté hampe.
RUDOLF STEINER LIVE
Le tout, vertical. Ce qui ondulait sous mes yeux, c'était le S serpentant sur le tissu sinusoïdalement déformé par le vent. Et à chaque ondulation transverse par rapport à la lettre, il y avait un moment où le lacet central du S disparaissait de part et d'autre de la toile, ne laissant que deux cédilles orphelines et bientôt accolées l'une à l'autre: formant un rond hermétiquement clos, cercle parfait se maintenant un instant avant de se dissoudre à nouveau et continûment jusqu'au nouvel équilibre de la lettre initiale, bientôt redisloquée et reconfigurée : passée de S à o.

dimanche 2 mai 2010

salacitas passeris


Voici ce que Pline dit (Hist. Nat., lii, 107) du moineau :

columbae et turtures octonis annis vivunt. contra passeri minimum vitae, cui salacitas par. mares negantur anno diutius durare argumento, quia nulla veris initio appareat nigritudo in rostro, quae ab aestate incipit. feminis longiusculum spatium.

L'opposition avec les pigeons et colombes se fait donc sur la durée de vie, non sur la lubricité. Cependant, les mêmes pigeons et colombes ont été élevés par Pline au rang de modèle de chasteté et de fidélité conjugale, deux paragraphes plus haut:

inest pudicitia illis plurima et neutri nota adulteria. coniugi fidem non violant communemque servant domum.

L'édition des belles lettres renvoie, pour le paragraphe des moineaux et pigeons à Aristote (H. A., IX, 7, 613 a), mais ce dernier ne parle nullement de salacitas égale, il ne porte de remarque que sur la longévité respective du mâle et de la femelle, et de la tâche noire au cou du mâle, détail que reprend Pline.

Il y a donc une légère tension logique dans ce "cui salacitas par", mais il faut remarquer la construction contrastive "contra... par". Et il me semble que l'on peut comprendre l'allusion dans le sens d'une moralisation du fait d'ornithologue : à salacité égale, les moineaux meurent prématurément. Ou bien les pigeons vivent longtemps, bien que jouissant des mêmes plaisirs charnels.

En somme, Pline, en faisant explicitement contraster la différence de longévité avec l'égalité d'appétence sexuelle, rendrait possible une interprétation moralisante, et permettrait une réinterprétation ultérieure compatible avec l'opposition amor carnalis / amor spiritualis, dont le couple moineau/pigeon sera un bon représentant (de même que le couple perdrix/pigeon dont, me semble-t-il, E. de Jongh parle). Remarquons d'ailleurs qu'avant de parler des pigeons, Pline parlait précisément des perdrix, pour vanter cette fois la conduite exemplaire des mères feignant d'être blessée pour attirer prédateurs et chasseurs loin de sa nichée.

Excipit salacitas passerum

Moineau et passereau

Cette note vient en correction de la précédente.

Le passereau est, selon le TLF, synonyme littéraire du moineau. "Passe" en ancien français signifiait "moineau, passereau" (Dictionnaire Greimas Larousse).

Seul le second sens, au pluriel, désigne depuis Linné en latin scientifique (passeres) l'ordre des passériformes.

Voici l'article d'Alain Rey :


Passer en latin vaut pour "passereau, moineau"

Excipiunt passeri

melancholia vel luxuria ?


Il me semble que l'on n'a pas assez fait attention à ceci: les attributs iconologiques de la mélancolie et ceux de la luxure commutent.

1) c'est tout d'abord une question de pose prise par la figure incarnant l'un ou l'autre. Chez Cesare Ripa (Iconologia, 1593), on trouve deux représentations de la Libidine. Voici la première:

DONNA, lascivamente ornata, sedendo appoggiata sopra il gomito sinistro, nella mano destra terrà uno Scorpione, à canto vi sarà un Becco acceso alla Libidine, & una vite con alcuni grappi d'Uva. Racconta il Pierio Valeriano nel lib. 16., che lo Scorpione significa Libidine, ciò può essere perche le pudende parti del corpo humano sono dedicate da gli Astrologi allo Scorpione, & questo segno predomina à Marte, secondo, che essi scrivono, il quale è notato di adulterio.
Medesimamente s'intende il Becco per la Libidine, essendo ne gli atti di Venere molto potente, & dedito à tal inclinatione soverchiamente, come si vede nel luogo citato nell'altra figura à questo proposito.
Sta à sedere, & appoggiata su 'l braccio, per mostrare l'otio del quale si fomenta in gran parte la Libidine, secondo il detto:
Otia si tollas periere Cupidinis arcus.
La Vite è chiaro indicio di Libidine, secondo il detto di Terentio:
Sine Cerere, & Baccho friget Venus;
Et ancora perche si dicono Lussuriare le Viti, che crescono gagliardamente, come gli huomini accecati dalla libidine, che non quietano mai.

Et les illustrations sont édifiantes :





Dans l'édition de 1593 dont la première image est issue, le mélancolique tient sa tête entre ses deux mains, et il est entouré de pierres :



2) le passereau, oiseau de la mélancolie, l'est aussi de la luxure (voire se confond avec le moineau).

Chez Cesare Ripa, toujours dans l'édition de 1593, la Lascivia, tenant un miroir dans la main gauche, dans lequel elle se regarde et s'ajustant de la main droite, aura à côté d'elle alcuni passeri, uccelli lascivi, e lussuriosi, ainsi qu'une hermine. Mais la Solitudine a un livre dans la main gauche, un Passero solitario in cima del capo, et un pélican dans la main droite, car
Il Passaro, & il Pelicano sono per natura uccelli solitariij, come dice il Salmo 101. Similis factus Pelicano solitudinis, & del Passaro: Factus sum sicut Passer solitarius in tecto.

De la tête de la Solitude où il semble avoir fait son nid, il changera sans mal ses pénates pour le caput melancolicus, du reste avec le livre, et dès les éditions ultérieures (ici), pour devenir l'emblème de la mélancolie.

(Dans une autre édition, le Pélican, plutôt symbole de la charité, est remplacé par un lièvre, mélancolique animal s'il en est)

Pour les images, la Solitude n'est pas illustrée dans l'édition de 1593, mais comparez :


et, le mélancolique donné dans une édition tardive comme de Ripa :


Tout cela est à reverser au dossier Cranach vs. Dürer

Scories

*** En cherchant un bouc émissaire, je suis tombé sur ces vers (ici):

Hircus emissarius
Et passer effugiunt

et cette note :

Psalm. x, 1. Transmigra in montem sicut passer.

*** Il pasero solitario est le titre d'un poème de Leopardi. Le poète y fait une projection de sa condition mélancolique. Mais d'après Wikipédia, il attribue la solitude de l'animal non à la tristesse de sa condition misérable (ce qui est le cas du poète), mais à une nature indolente, et c'est précisément le point de jonction, chez Ripa, entre Libidine et Malinconia.


Excipiunt Luxuria melancholiaque



samedi 1 mai 2010

Baudelaire post-mortem



In Le Bibliophile français: gazette illustrée des amateurs de livres, 1868

Dans la même gazette, un article de Champfleury sur une gravure appartenant à Poulet-Malassis représentant Lustucru redressant une tête de femme à coups de pinces, enclume et marteau

Excipit Baudelaire

jeux de massacre





Excipiunt les jeux de massacre

jeudi 29 avril 2010

Encore un Tragélaphe

Tragelaphus. Belon, Observ. feuillet 54, fig. feuillet 54, verso ; le tragelaphus, dit Belon, est semblable en pélage au bouc estain : mais il ne porte point de barbe ; ses cornes ne lui tombent point, qui sont semblables à celles d’une chèvre, mais sont quelquefois entorses comme à un bélier ; son museau et le devant du front et les oreilles sont de mouton ; ayant aussi la bourse des génitoires de bélier, pendante et moult grosse ; ses quatre jambes semblables à celles d’un mouton ; ses cuisses à l’endroit de dessous la queue sont blanches ; la queue noire. Il porte le poil si long à l’endroit de l’estomac et dessus et dessous le cou, qu’il semble être barbé ; il a les crins dessus les épaules et de la poitrine longs, de couleur noire ; ayant deux taches grises, une en chaque côté des flancs, et aussi il a les narines noires et le museau blanc, comme aussi est tout le dessous du ventre. Nota. On verra que cette courte description que Belon donne de son tragelaphus, s’accorde pour tous les caractères essentiels avec celle que nous donnons ici du mouflon.


C'est du Buffon, sur le Mouflon.

Excipit Tragelaphus Musimon

lundi 19 avril 2010

jeudi 15 avril 2010

6, rue de la femme sans tête

En complément de ce motif baudelairien, sadien, balzacien et autre de la femme sans tête, l'emblème XVI du théâtre des bons engins de Guillaume La Perrière (1544), emblème trouvé sur le site de Glasgow : ici



Excipit pour l'heure la femme sans tête

Tragelaphus & BoucCervier

Il est quelque peu troublant de constater que le hasard est plus traqueur que le traqueur. Une fois mes billets fagottés, je voulus feuilleter le livre d'Anneau. Je clique sur suivant, suivant, suivant, suivant, *suivant. Tiens, je retombe sur l'image des sophistes. Mes yeux glissent : du français. J'avais cliqué sans le vouloir sur "Next Search Result", au-dessus de "Next fac-simile" sur quoi précédemment j'appuyais... Décidément aujourd'hui, le hasard a décidé de m'en remontrer sur mon travail (cf. post précédent) Bref,

Voici la version françoise du livre de Barthélémy Anneau :

Resterait à démêler le cousinage de BoucCervier et d'Hircocerf

Pour l'heure,
Excipiunt les leçons du hasard

Actéon des seigneurs

Il s'agit des hasards du web, encore.

Je recherchais dans les emblèmes une trace de la chèvre crapahutant sur les sommets que l'on trouve dans le Bestiaire d'Aberdeen (ici). C'est comme cela que j'ai recroisé le chemin de cet Actéon des voleurs dans Alciat. Le sens tiré de la légende ovidienne n'intéresse en rien le texte de Flaubert, mais un scrupule ou le démon de l'exhaustion me prit et je fis un post pour en attester l'existence (cf. ce pré-précédent post). Puis je repris mes recherches hircines et tombai sur le grand-père de notre hircocerf national : un tragélaphe trônant en superlative place sur une image qui aurait pu être d'un paradis, mais qui était d'un enfer de sophistes (cf. post précédent). Je connaissais l'auteur de nom, mais non l'ouvrage. Je tourne donc la page et trouve :


Excipiunt les hasards du web

qui de tragelapho discutant

Le tragélaphe est - du moins par liens de l'étymon - aïeul de l'hircocerf. Discuté par Buffon, après Pline et compagnie. Il apparaît dans Saint Antoine, et j'ai traqué le tragélaphe dans les forêts de Saint Julien. Il se pourrait cependant que la filiation ne soit pas que formelle.

Car voici qu'en promenant mon hircocerf par le web au lieu de travailler, je trouve ce matin (tandis que je planchais sur une interprétation du bouc dans Julien) cette mise en garde sublime (trouvée sur cet excellent site) :


Vois lecteur, ce troupeau de sophistes disputant de Chimères, d'Hircocerfs, et autre gibier d'impotence imaginaire.

Le contexte est - j'imagine - celui d'une contestation de la disputatio scolastique par un ouvrage de la Renaissance, mais il est intéressant de voir que notre hircochimère du 17e siècle était peut-être en germe au siècle précédent dans le Tragelaphus de Pline.

Par ailleurs, l'ouvrage en question de Barthélémy Aneau, et porte un très beau titre : Picta poesis (1552), et il me dépare une coïncidence qui fait l'objet du post suivant.

Car Excipit Disputatio Hircocervi

Actéon des voleurs



Chez Alciat (par exemple ici)

Excipit Actéon des voleurs

dimanche 11 avril 2010

Délices des digues

En allemand, célibataire se dit ledig, lequel signifie libéré, débarrassé.

Célibataire quant à lui viendrait de caelebs "célibataire", à l'origine "obscure" selon Gaffiot, pas plus claire selon Rey, peut-être à l'idée d'être seul (en vieux slave) son quant à soi (en sanskrit), mais rétif à s'apparier à d'autres mots, et seiner Herkunft ledig.

Excipiunt les joies lexicales du célibat

jeudi 8 avril 2010

'cor une (to be complété)

Dans la famille Perdrix, je voudrais...

NB : à rapprocher du dicho español ?

Excipit la perdrix de trop

L'exégèse est une hygiène


Moi — Tu veux une tisane ?
Elle — Volontiers.
Moi — Je te préviens, c'est pas bon.
Elle — Pourquoi t'en bois alors ?
Moi — J'sais pas, j'aime bien, et puis c'est bon pour les insomnies.
Elle — Bon, bah donc c'est bon.
Moi — Hé hé, oui.
Elle — C'est quoi ?
Moi — Johanniskraut.
Elle — ...
Moi — Aucune idée en français. Attends. On a qu'à regarder sur Wikipédia, Jo-han-nis-kraut. Voilà. Et hop, la page française... "Millepertuis perforé". Tiens, je savais pas que ça se buvait.
Elle — Comme deux trous.
Moi — Hé hé.
Elle — Attends, regarde, ça s'appelle aussi "Herbe de Saint-Jean" !
Moi — Et alors ?
Elle — Ben, "Johanniskraut" !
Moi — Ah oui.
Elle — "Utilisée en médecine et largement popularisée pour ses effets antidépresseurs, la plante porte de nombreux surnoms dont le plus célèbre est celui d'herbe de la Saint-Jean". Par contre, ils parlent pas d'insomnie.
Moi — Ça alors !
Elle — Quoi ?
Moi — Antidépresseurs, là, comme dans la chanson !
Elle — Quelle chanson ?
Moi — Attends ! Attends ! Itunes... Tiens :
Moi — Il est quand même fort, hein ?
Elle — Mmm.

Excipient les herbes de saint Georges

ref (lion et porc-épic)


peut-être faudrait-il aller voir

mercredi 7 avril 2010

Un jour je lirai Moby Dick


Pour l'heure, je m'amuse de ça :
We must have Hedgehog there, I mean Quohog, in one of our boats.
de ça :

et de ça :


Excipiunt Les Hérissons d'Herman Melville

oiseau balai

Parmi les animaux fantastiques (licorne, harpie, griffon, etc.) qui habitent cet Eden ci-avant cité:


L'espèce d'oiseau-balai qui passe en haut du cadre, entre geai et perdrix-caille, m'intriguait tout particulièrement.

Le hasard de la traque l'a fait fuser dans mes filets, via le Camerarius :


Petit plaisir de chasse, voilà tout.

Et du balai, l'oiseau balai

Joachim Camerarius


En feuilletant l'édition en ligne sur Archive du Symbolorum & emblematum ex re herbaria desumtorum centuria de Joachim Camerarius (édition de 1654) dont parlait Marcus Hellyer, on trouve au hasard des pages :

une Panthère attaquant un lapin : aut capio, aut quiesco

un loup cervier (dément?)

des licornes (à la vierge, au trésor, aux serpents et fontaine je boirai quand même de ton eau)

des perdrix (voleuse d'oeufs et pressées de naître)

un paon qui se pavane en tout bien tout honneur

des grues volant en silence pour éviter les aigles

un élan bien dessiné (comme chez Gesner ?)

un cerf aux prises avec un aigle

un cerf, de l'eau et des serpents, et puis un cerf blessé et un cerf déchirant les serpents

A ce dernier sujet, voir aussi Les Halieutiques d'Oppien :
Dans les forêts, un cerf au bois fourchu qui parcourt les bois fréquentés des serpents (11), flaire, trouve leurs traces, parvient à leur repaire, en fait sortir un de ces reptiles, et se presse de le mettre en morceaux, dans le temps même que l'animal se roule autour de ses jambes, de son cou, de sa poitrine, et que ses tronçons à moitié dévorés jonchent la terre ou sont broyés sous sa dent rapide ; ainsi se replient les parties en mouvement du malheureux poulpe.
Et la note qui renvoie à La Chasse.

A suivre

La guerre du lézard et du hérisson

Tout vient de cette image-ci :


Je racontais (dans un article ou ma thèse, je ne sais trop encore ce que cela deviendra) comment l'artiste (Jean Mignon, de l'école de Fontainebleau, sans doute sur un dessin de Luca Penni) avait agencé le bas du tableau en couples d'animaux ennemis, pacifiquement réunis dans le Jardin d'Eden.



Il y avait à l'avant-plan le lion et le lièvre, à l'arrière plan le chien et le cerf. J'ajoutais à cela, qui renforçait l'unité de cette frise à symétrie axiale, une autre organisation, de type humoral: le lion représentant le tempérament colérique, le lièvre (et le chien qu'on devine assis derrière lui) le mélancolique, le cheval (+ biche et chiot au second plan) le tempérament sanguin.

J'en venais donc au couple lézard/hérisson, clairement identifié en bas à droite de l'image:


Et je voulais en évaluer le statut de couple antagonique et flegmatique. Il était d'autant plus important pour ma démonstration que le peintre en avait précisément accentué le caractère de couple : le nez du hérisson pointant vers le lézard, sans agressivité.

De même j'aurais voulu pouvoir signifier un renforcement de l'effet de symétrie par un renvoi textuel au lion que je subodorais.

En comparaison des deux autres, je pensais que la toute première tâche serait un jeu d'enfant, ayant de mon enfance souvenir que le hérisson combattait les vipères. Mais c'est l'inverse qui se produisit.

Pour ce qui était du tempérament, en effet, ça alla comme sur des roulements à bile: je ne précise pas, mais les deux bêtes pouvaient représenter le flegmatique. Pour ce qui était de la symétrie axiale organisant cette frise, le porc-épic-hérisson, me disait cette source peu sûre, très pieuse et par trop anachronique, était réputé plus fort que le lion. Quant au statut de couple antagoniste, cette autre illustration...


...ne laissait guère de doute :


Mais j'aurais voulu le prouver par A + B et non par Art + Bild

C'est là que les soucis commencèrent. Internautes itinérants, piocheurs de pixel, chercheurs d'or frais, exploiteur de web minier, grand quêteur devant l'e-ternel, ne cherchez jamais la petite bête dans le coin inférieur droit du tableau !

Rien dans Pline, dans Aristote, et consort.

Le hérisson est seulement censé rapporter à ses petits les fruits (pommes ou raisins) piqués dans ses piquants. Cela peut rappeler l'écureuil qui court les noisettes à l'autre extrémité du tableau de Jean Mignon, éventuellement les apéritifs du dimanche, avec ces hérissons hérissés de cure-dent au gruyère et à l'oignon blanc, mais guère servir de déclencheur à la guerre au lézard.

Il me restait toujours à prouver :

1. que le lion et le hérisson avaient quelque raison d'être ainsi placé en face-à-face distant et symétrique
2. que le lézard et le hérisson sont ennemis jurés

Devant la difficulté de la tâche, je me contenterais, dorénavant, et étant données les confusions et possibles contaminations, de prouver qu'il y avait bien :

1. face-à-face possible entre lion et porc-épic
2. guerre entre hérissons et serpents

Pour le premier point, je n'avais guère que la source susdite, et l'adage suivant d'Erasme:
Multa novit vulpes, echinus vero unum magnum
Qui était un premier pas vers la suprématie, mais à foulée de hérisson.

Pour le second point, voici la note que je rédigeais pour ledit article en cours:

Le statut de couple antagonique formé par le lézard et le hérisson, m'est apparu de même que je le décris ici : par un effet de structure dans la première gravure, et par une opposition explicite dans la seconde. J'ai cherché sans le trouver un texte qui confirmerait ce que la peinture affirme. Selon Pline, le lézard a bien des ennemis, mais ce serait les serpents (Hist, 8, 51) et l'escargot (Hist, 8, 60). Le hérisson n'y a d'ennemi qu'humain (Hist, 8, 56). Bref, je ne l'ai pas encore trouvé ni chez Pline ni ailleurs, mais voici quelques éléments. Tout d'abord, le hérisson est effectivement un chasseur de serpents, sinon de lézard, et notamment de vipère, étant insensible au venin. C'est une chose qui sans figurer dans les bestiaires ne manquaient pas d'être sues dans les campagnes et a bien dû paraître dans quelque livre de zoologie avant le 19e siècle où je l'ai trouvé (ici). Il figure dans des extraits d'un naturaliste arabe du 15e siècle (ici), traduits et placés en annexe de La Chasse d'Oppien au 18e siècle. Ensuite, un couple antagonique bien attesté quant à lui fait s'opposer le crocodile (une sorte de gros lézard...) et l'ichneumon. Mais je ne vois pas comment on serait passé de l'ichneumon au hérisson. A moins d'y voir une sorte de métonymie de lecture... Car dans la même Chasse d'Oppien, le porc-épic – l'animal le plus redoutable des forêts – précède immédiatement la lutte légendaire du crocodile et de son mortel ennemi (ici). Enfin, il se trouve que le verset du Lévitique où ces deux bêtes immondes apparaissent est un de ces versets qui ont posé problèmes aux divers commentateurs. Et le hasard veut qu'Anakah ait tantôt été traduit par lézard, tantôt par hérisson... (voir par exemple ici)

En passant, la description de la guerre que mène le hérisson à la vipère dans le texte ci-devant allégué conviendrait tout à fait à la posture menaçante du premier encontre le lézard dans la seconde illustration qui nous occupe.

A cela s'ajoutait une fable d'Esope sur un hérisson prenant refuge dans un trou de serpent, puis, le danger passé, refusant de décamper, étant le plus fort des deux. Le serpent se voit alors contraint d'abandonner son logis à l'impudent animal. Cela supposait sans doute une animosité latente entre les deux animaux, mais enfin, ce n'était pas non plus tout à fait convaincant.

Vue la date des deux gravures (16e siècle pour la plus récente), je subodorais la source dans Gesner ou un quelconque livre d'emblème.

Un passage à l'anglais me montra que c'était la piste, en effet, et qu'elle était bonne.



L'echinus débarque dans les bestiaires avec Camerarius, se multiplie dans Gesner (Historia animalium Lib. I de quadripedibus viviparis, Zurich, 1553, 1, pp. 399-409) et prolifère avec Aldrovandi (De quadrupedibus digitatis, Bologna, 1637, pp. 459-70).

Le dernier est un peu tardif, le second est en latin, commençons par regarder les images du premier...

Malheureusement, ce qui est disponible chez Camerarius, c'est notre présentoir à fruits et à groin de cochon (le hérisson ayant longtemps été divisé entre deux sous-espèces à truffe de chien ou à groin de cochon. Buffon discute encore longuement ces allégations):

Mais "à quelque chose malheur est bon" (Charles Baudelaire) et le gentil porc-épic nous dédommage quant à lui royalement :


Le texte nous explique que la couronne au-dessus de sa tête vient de ce que Louis XI avait pris l'animal pour emblème. Une autre occurrence de couronne volante plane dans le même livre au-dessus d'une louve, par égard pour les fondateurs de Rome. Toujours est-il que voilà notre porc épineux entré au club des rois des animaux (tête couronnée exigée), ce qui, avec la confusion permanente entre les deux bêtes, suffit à expliquer la mise en symétrie, dans notre gravure, du lion et de son compère hérisson. CQFD le petit 1.

Restait le petit 2, id est à éplucher Gesner.

Sa somme est consultable en ligne sur le site du Göttinger Digitalisierungszentrum (ici), et l'on trouve en effet, à la page 404, après le hérisson thésauriseur de fruit et le hérisson combleur de terrier selon la direction du vent, la guerre tant espérée:

C'est-à-peu-près-dire:
Le serpent et le hérisson (comme le rapporte Oppien au livre II de sa Pêche) brûlent d'une haine réciproque. C'est pourquoi lorsqu'ils se rencontrent en leurs repères [communs: voir la fable d'Esope], le hérisson se met bientôt en boule, de sorte que ses piquants seuls dépassent. Le serpent, cependant, fond sur lui, et s'emmêlant dans ses piquants, il le mord en vain. Plus il resserre son étreinte en l'entourant de ses anneaux, plus il enfonce ces fines aiguilles dans ses propres chairs et se blesse. Quelque endommagé qu'il en soit, et tant qu'il n'en meurt pas, il n'abandonne pas la partie. Mais tantôt les deux meurent l'un sur l'autre, tantôt le hérisson en réchappe, et emporte des bouts de serpents morts ou le cadavre au grand complet encore accrochés aux piquants.
C'était donc bien sous la roche d'Oppien qu'il fallait chercher l'anguille et l'oursin, mais je n'eusse pas imaginé qu'il fallût pécher là nos bêtes, au milieu de leurs cousins salés. Son texte vaut citation, d'autant qu'il redonne un peu plus de brio à notre ami hérisson. La comparaison vient du combat du crabe et de la murène (et la traduction de cette page) :
Tels sont les combats que se livrent sur la terre, dans le fond des bois, le serpent et l'oursin épineux lorsqu'ils viennent à s'attaquer. Dès que celui-ci soupçonne l'approche du funeste reptile, il se retranche, sous forme sphérique, derrière le rempart de ses longues et nombreuses épines qui lui servent de bouclier, et se traîne de l'intérieur. Le serpent, de son côté, se porte sur lui et l'essaie de ses dents gorgées de venin sur tous les points de sa surface circulaire ; mais ses efforts sont inutiles : quelque terribles que soient ses mâchoires, elles ne peuvent arriver jusqu'à son corps, à travers la fourrure épineuse dont il est enveloppé. Roulé en cercle, en masse globuleuse, il se meut, il se précipite en tours nombreux sur lui-même, et des piquants dont il est hérissé, frappe le reptile, fait couler de ses membres une sanie sanglante, et l'accable d'une multitude de blessures. L'odieux serpent le couvre aussi en entier des longs et robustes replis de son corps, le presse, le serre malgré les pointes horriblement aiguës dont il est percé de toutes parts. La fureur ajoute à son audace. L'oursin, ferme au centre de ses aiguillons, ne cesse de lutter de toutes ses forces, et ne gémit que malgré lui dans cette dure compression. Sous l'abri protecteur de la voûte cachée qui le recèle, il attend que son ennemi meure ; souvent il périt lui-même en l'accablant : ils sont ainsi l'un à l'autre un instrument de ruine et de mort. Souvent le malheureux oursin s'échappe, semble surgir du sein du reptile qui le tenait emprisonné, et en emporte à ses piquants les chairs expirantes. C'est à peu prés de la même manière que la murène tombe victime du crabe : elle est pour lui une nourriture dont il est avide et qui flatte son goût.
De même Oppien compare les mouvements du poulpe à ceux des serpents s'enroulant en vain autour des pattes du cerf qui les déchire.

Pour revenir à Gesner, j'ai cru un moment qu'il traitait le porc-épic juste avant le lion, à cause de cette page...


...qui commet des coupes franches dans le livre, et en réalité les deux biesteletes sont distantes d'un bon centimètre d'épaisseur papier. Mais s'il ne s'agissait que de les faire se rencontrer sur une feuille, en voici une, et médiévale encore:
(harponnée , et glose ici)

Vous me direz, avec tout ça, on n'a pas encore vu combattre un lézard et un hérisson, et moi je vous dis: si, en gravure.

Et hop ! excipit la guéguerre de M. Espinard et Mlle Lison

dimanche 4 avril 2010

More sur Borges


Toujours dans le même texte, Borges écrit:
En la página 177, el señor Fabureau (precedido, es verdad, por el señor Henri Charpentier) revela que ahí donde la versión definitiva de "Palme" dice: départage sans mystère, la primera decía: départage avec mystère.
Esa contradicción (esa inocente modificación, mejor dicho) provoca este comentario insensato: "De una edición a otra, el sentido de la estrofa ha sido invertido. Paul Valéry se burla de sus lectores". Paul Valéry, si se dignara, podría contestar muchas cosas. podría contestar que la inversión de un adverbio en un verso (digo adverbio, porque avec mystère equivale a mystérieusement) no invierte el sentido de la estrofa. Podría contestar que un poeta que se relee puede juzgar que la palabra "sin" es menos inexacta o más eficaz en tal sitio que la palabra "con". Podría contestar que un hecho estético (lo corrección de una palabra) no puede autorizar un juicio moral (la imputación de burla).
Je ne connais pas de meilleure glose aux variations des vers 12 et 13 du Guignon de Baudelaire:

- En 1857 :
Mainte fleur épanche en secret
Son parfum doux comme un regret
- Et en 1861 :
Mainte fleur épanche à regret
Son parfum doux comme un secret.
Mais les Fabureau sont rares parmi les baudelairiens généralement dévots de leur objet.

D'ailleurs, cette vindicación de Valéry conviendrait tout aussi bien pour gloser les variantes apparemment contradictoires d'autant de poètes qu'il y a de lecteurs et de prédilections.

Il me semble y avoir plusieurs raisons à cela.

La première raison est sentimentale. De telles variantes donnent une apparence de faiblesse à leur auteur. Tout d'un coup le démiurge est pris la main dans le sac, et c'est une main d'homme. Au fond, on le savait bien et cela ne devrait pas poser problème, au contraire, et comme dit Freud de Léonard, on devrait bien penser que ... On sait tout ça, mais, comprenez-vous, il faudra quand même bien défendre nos grands hommes contre les Fabureaux de tout poil qui ne manqueront pas de venir nous les attaquer. Et si du haut de sa tour d'ivoire, soeur Anne n'en voit pas un venir, il se pourra tout aussi bien que nous ayons en nous de petits soldats Fabureaux soulevés par nos propres peurs Fabureaux et qui voudraient bien pouvoir Fabureau renverser nos idoles eux aussi. Flaubert dit bien que la bêtise attire le saint et les yeux du Catoblépas médusent qui le regarde. Bref, on sait tout ça, disais-je, mais si quelqu'un, dehors ou dedans, vous demande ce que signifie cette variante, vous répondrez quoi, hein ? Or, le texte de Borges non seulement répond, mais rétablit l'ordre naturel. Il change un point faible en point fort. Le champ qui gronde aux sources de la création retourne au geste créateur, le sceptre rejoint le calame dans la main du poète, et l'art demeure cette affaire privée qui concerne l'artiste et son œuvre. Est intrus quiconque veut le sortir de cet échange pour en faire autre chose que le don au lecteur. Le critique avait déplacé le problème, il s'agissait de le reposer (et il s'agirait quant à nous de reprendre tout ça, le ramasser).

La seconde raison est donc d'ordre général. Cette défense de Valéry est aussi une défense pro domo du poète et de la poésie. Là encore, je pense pour ma part au genus irritabile vatum de Baudelaire dans son projet de Lettre à Jules Janin: le flegme en plus et la colère en moins. Mais cessons de citer Baudelaire, Borges n'en était guère féru.

La troisième raison est de l'ordre de l'aléthique. Cette défense n'est pas seulement rassérénante et générale, elle est fondamentalement vraie.

La quatrième raison est esthétique, ou plutôt : musicale, et c'est une reformulation de la précédente. Elle se définit par l'absolue justesse de ton.

Et la dernière raison, enfin, m'est personnelle et concerne à la fois la sensibilité de Borges à la façon dont Fabureau parle de Valéry, et sa propre façon de parler de ces deux-là. Je n'ai pas envie d'expliciter davantage cette raison. J'en dirai seulement ceci: ce à quoi je suis le plus sensible quand je lis de la critique, c'est la relation qui émane du texte entre l'auteur et l'écrivain que ce dernier s'est choisi pour sujet d'étude.

Toutes sortes de manières sont par ailleurs envisageables.

Excipit More sur Borges.

corrigé par borges


Il y a quelque temps, j'avais écrit, à propos de la JGF à qui Baudelaire dédie ses Paradis artificiels et que l'on pourrait éventuellement lire comme une allégorie de la poésie ou de l'inspiration:
Baudelaire dessinait Jeanne de mémoire dans son exil bruxellois. Et sans doute est-il préférable d'imaginer qu'une « simple mortel[le] » motive la dédicace, que J.G.F. n'est pas pure chimère de papier, mais femme, être de sang, de chair, et de sueur. Il y aurait, sinon, risque avéré, toujours latent chez Baudelaire, de narcissisme. La trajectoire hors de soi tournerait court et retomberait en soi.
J'ai eu à l'intant l'impression de me voir morigéner par Borges en lisant, dans Un libro sobre Paul Valéry (Obras Completas, IV, Emecé, p. 364):
En la página 178, el crítico deplora que cierta imagen cariñosa de Valéry no se refiera a una mujer, sino a la inspiración. Ello es desconocer la naturaleza de las alegorías y de los símbolos que nos proponen verdaderamente una doble intuición, no unas figuras que se pueden canjear por nombres sustantivos abstractos. La hambrienta y flaca loba del primer canto de la Divina Comedia no es la Avaricia: es una loba, y es también la avaricia, como en los sueños.
Parions que je citerai ce texte un jour.

Excipit la borgésienne correction

Quand l'hircocerf n'a rien à dire


Il ne dit rien

Excipit de hircocervorum wittgensteinitate

samedi 3 avril 2010

D'où viennent les perdrix ?


Je ne fais là que répéter ce que j'ai dit tout à l'heure.

A savoir :

Et :

Ce qui nous fait deux références à vérifier.

Excipit Perdix


vendredi 2 avril 2010

Taissons de Dahu dans l'Enfer de Dante ?

En feuilletant la Pseudodoxia Epidemica, j'ai été surpris d'apprendre que le blaireau (ou taisson) avait été taxé de pattes plus courtes d'un côté que de l'autre. Brown rejette cette hypothèse mais indique qu'elle est généralement partagée, et ancienne.

Aussitôt, j'ai pensé au Dahu, et presqu'aussitôt après à ce passage obscur de L'Enfer de Dante :
Si che'l pie più fermo era sempre l'più basso
Je cite de tête, alors pincettes.

Et je furète, un peu, sur internet.

Dès la parution française en 2005, un lecteur de Brown avait fait le rapprochement sur son blog.

D'ailleurs l'édition en ligne de la sixième édition de l'original anglais (1672, et 46 pour la première) indique (ici) :
Topsell (Historie of Foure-footes Beasts, 1607, p. 34) reports that "some say" the legs are longer on the right than on the left and that therefore the badger "runneth best when he getteth to the side of a hill, or a cart-road-away."
Ce qui fait songer à la raison avancée pour notre Dahu national qui n'est courtaud que d'un côté, à savoir qu'il vit perpétuellement sur les pentes.

Et qui fait songer les songe-creux aux vers de Dante gravissant son colle giunto.

Wikipédia parlait aussi du Bitard en Poitou. Mais le rapprochement semblait là aussi formel: une chasse à la chimère dans les deux cas, à la chignole dans le second. Et pas de signalement de Bitard aux pieds torts.

Quand soudain j'appris au hasard d'un forum que le Bitardus Paradoxus conservé religieusement dans les murs de l'université de Poitiers était un être composite et composé d'une tête de fouine, d'un corps de carpe, d'une queue de paon, et... de pattes de blaireau !

Tout cela mêlant folklore charivarique et traditions orales se ressourçant à Rabelais, je n'ose exclure qu'un hasard, comme les trains, ne cache un hôte, et n'ose non plus le supposer tout à fait.

Fallait-il pousser plus loin les chiens ?

Du moins aurai-je trouvé ce réjouissant article qui m'apprend que le bitard est un butor, cause que je me réjouis, mais qui m'apprend - et je suis fort marri pour ne pas dire vexé de ne l'avoir point su - que la perdrix est "étymologiquement péteuse". Voici l'article (la perdrix pète à la note 45 de la page 79):



Et voici, pour être tout à fait composite, nous aussi, un tableau qui explique pourquoi me touche tout ce qui touche au boeuf-taureau des marais:


Elle est du grand Jean-Baptiste Oudry (grand ne signifiant rien d'autre que mon goût pour ce peintre) et vous pourrez la saluer pour moi au musée du Louvres, ou la consulter sur le site image de la RMN, ainsi qu'un plus célèbre autoportrait de Rembrandt, que je pourrai saluer pour vous.

Quant à Dante, on se demande un peu ce qu'il est venu faire dans ces chimères.

Excipiunt Les Taissons du Dahu

Fleurs bleues


Un étymon à vérifier :


(Trouvé ici, à propos des fleurs de Queneau)

Explicit lo roman des Fleurs bleues

Libre de s'ensabler


Internet est un livre de sable.

Ce que Borges décrivit avec précision en 1975, c'est ce qui était en train de naître au même moment dans les laboratoires informatiques des universités américaines.

(Au passage, le traqueur est content d'apprendre sur le net qu'un certain Vint Cerf, "parfois appelé le père de l'internet", s'est laissé prendre à son tour dans ses rêts)

Non tant que l'agressivité effrénée de force forains ne transforme non plus bien souvent la toile en livre d'arènes où des hommes araignées gladiatisent sans fin(esse).

Mais pour le nœud terrible qui fait le cœur de cette nouvelle, le cœur noué. Ouvrez le livre, regardez la page, regardez-la bien, vous ne la reverrez plus.

Exemple. Vous êtes en chasse sur le net. C'est nuit, de plus en plus nuit. Vous croisez des sites qui se meuvent à l'écran comme des formes animales. Soudain, une image sort d'une page. Elle vous plaît, vous l'abattez, c'est-à-dire la rabattez dans la mémoire de votre ordinateur et la chassez de la vôtre, sans prendre la peine de noter la page d'où elle était surgie, car en voici une autre, elle vous plaît, vous l'abattez, etc. Au bout de tant d'heures qu'elle ne signifient plus grand chose, vous allez dormir. Mais cette image que vous avez ramenée de votre traque nocturne dans les broussailles enchevêtrées du web, tandis que vous vous étiez si avancé dans la forêt des heures que vous ne pensiez plus à rien, ni n'aviez plus souvenir de rien, mais marchiez dans les halliers d'internet comme dans un rêve, comme l'autre, là
en chasse dans un pays quelconque depuis un temps indéterminé, par le fait seul de sa propre existence,
cette image, disais-je, a beau être rentrée dans votre ordinateur, la mémoire de ce dernier, comme la vôtre, se dit presque aussitôt: "cette tête me dit pourtant quelque chose..." Et vous même vous dites :

Mieux se retrouve aiguille en foin
Que page au pays plat des 0 et des 1
Dieu ! La Technique après le Diable
Greffe un nouveau visage à votre Irrémédiable !

Mais foin de ce lyrisme de supermarché.

J'ai effectivement il y a quelque nuits ramené de mes courses à l'image sur le net ce magnifique spécimen:


Et au matin je n'avais pas la moindre idée d'où pouvait bien se trouver l'ibère Éden où j'avais, semble-t-il, cueillie cette fleur de Coleridge éclose à mon écran.

Je sais le charivari qu'illustre cet Hippélaphe d'un genre nouveau, et pourquoi j'ai bien dû vouloir l'enfermer dans mon ordinateur, mais de la prise, aucun souvenir.

Angoisse. Car l'on est bien démuni, au royaume du langage, pour chercher une image...

D'ailleurs, cela vaut pour n'importe quel vague souvenir d'avoir lu ça quelque part, mais où ? La nouvelle de Borges peut aisément se lire comme une allégorie de la difficulté de remettre la main sur un souvenir qui s'enfuit (difficulté qui peut aller jusqu'à la terreur et qui prend dans la nouvelle la forme du cauchemar). Or, Internet est une image tangible du pays où tous ces souvenirs s'enfuient et l'expérience y est si commune, que tout lecteur de Borges et utilisateur du web a eu cent fois l'occasion de faire de ces deux idées un petit court circuit électro-encéphalique d'où jaillit le fiat lux qui fait tilt et la nouvelle idée. Pour ma part la première étincelle était venu du frottement de pages humaines.

Au hit parade des www, le site, et même l'explisite "chatroulette" fait son buzz depuis quelque temps. Il s'agit d'un serveur mettant aléatoirement en relation les webcams et les claviers des personnes qui s'y connectent, partout sur la planète (rencontres servies sur le plateau du net, donc). Un sommaire tableau de commande vous permet de cliquer pour changer d'interlocuteur, technique zapping. C'est-à-dire que vous n'avez à l'écran qu'un internaute à la fois. S'ils sont plusieurs, c'est qu'ils trichent et sont tous devant le même écran. Des statistiques amusantes indiquent "15% de pervers" en ligne. Mais entre pénis et braguettes, vous entrevoyez des visages et pouvez leur parler. Et si votre doigt glisse inconsidérément sur le touchpad tandis que la conversation prenait un tour intéressant, eh bien... zap ! Adieu visage.

L'anecdote me fut racontée, avec quelques regrets amusés dans la voix, par une amie s'entretenant avec un musicien à l'autre bout du monde.

Un éclair, puis l'écran. Livre de sable humain. (Qui se referme).

Excipit Libre de s'ensabler.