lundi 10 décembre 2012

Rue d’un mort, y mourir

Dans Salammbô, avant même que la guerre n’éclate, les Baléares de Zarxas sont massacrés par la population de Carthage :

C’était une troupe de trois cents frondeurs débarqués de la veille, et qui, ce jour-là, avaient dormi trop tard. Quand ils arrivèrent sur la place de Khamon, les Barbares étaient partis et ils se trouvaient sans défense, leurs balles d'argile ayant été mises sur les chameaux avec le reste des bagages. On les laissa s'engager dans la rue de Satheb, jusqu’à la porte de chêne doublée de plaques d'airain ; alors le peuple, d’un seul mouvement, s’était poussé contre eux.
On peut se demander pourquoi les soldats meurent dans cette rue. Sur GoogleBooks, et une fois les erreurs de numérisation écartées, il n’y a qu’une seule occurrence de ce mot, un anthroponyme tiré d’un ouvrage au nom suggestif, et que Flaubert connaissait bien : Toison d'or de la langue phénicienne, par l’abbé Bourgade (Paris, 1836). Flaubert l’a extrait d’une inscription funéraire transcrite à la page 36 :


“Cippe du tombeau de Sathleb, fils de Makla”. Sathleb est le nom d’un mort, et c’est tout ce qu’on sait de ce nom : qu’un homme le porta et mourut. Flaubert baptise sa rue du nom d’un mort qui n’est plus connu que par une unique une stèle punique, qui n’est resté dans la mémoire des hommes que parce que d’autres hommes ont voulu un jour s’en souvenir. De ce constat, trois choses:

– Flaubert reconstruit Carthage non seulement avec des briques empruntées à ses ruines, mais à des cippes : à des briques qui portaient dans leur fonction ce pour quoi l’écrivain les emploie. L’édifice commémoratif est construit de pierres commémoratives (Mise en abyme du geste d’écriture, etc.)

– Comme souvent, Flaubert narrativise non seulement ce qu’il extrait des documents, mais le contexte discursif dans lequel il trouve ce qu’il compte recycler.

– Les Baléares de Zarxas meurent rue d’un homme mort.

Excippiunt les frondeurs Baléares


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