Le numéro 5, paru mai 2008, était consacré à "La Main".
L' article de Guy Braun portait sur la scène initiale de Yoyimbo.
Le motif est celui du chien tenant dans sa gueule une main tranchée. Guy Braun évoque un souvenir d'enfance de Kurosawa, et sa culture littéraire occidentale, notamment La Main enchantée de Nerval. Celles de Verlaine, de Maupassant.
Pour sa part, l'article d'Anne Mounic revenait précisément sur "Les Mains de Nerval, Maupassant et Verlaine", en posant cette question : "Que dit la main de gloire, d'écorché, d'embaumé ?"
On pense en réponse à la main brûlée de Flaubert.
Et on repense à ce passage de La Tentation, où se chevauchent les voix d'Apollonius de Tyane et de Damis, son disciple, c'est-à-dire où se croisent les voix de Suétone et de Philostrate. Damis-Philostrate racontant l'histoire de la vampire démasquée par son maître.
Quant à Suétone-Apollonius, voici son récit une fois qu'on l'a démêlé des paroles de Damis :
J' ai prédit l'empire à Vespasien.Ce qui se trouve à peu près dans Suétone :
[…]
étant donc à table avec lui, aux bains de Baïa...
[…]
Un chien entra portant à la gueule la main coupée d' un homme.
[…]
Le chien cependant rôdait autour des lits, et le monde voulait le chasser.
[…]
Mais moi je dis : "laissez-le, il sait ce qu'il doit faire".
[…]
Et le chien, quand il eut tourné quelque temps, déposa la main coupée sur les genoux de Flavius.
Prandente eo quondam, canis extrarius e trivio manum humanam intulit, mensæque subjecit.Que Désiré Nisard, en 1845, faisait traduire ainsi:
Une autre fois, pendant qu'il dînait, un chien étranger apporta de la rue une main humaine, qu'il déposa sous sa table.
Il me semble qu'il y aurait là - peut-être par l'intermédiaire de La Tentation - un écho lointain dans Kurosawa. Car dans le film aussi le motif répond à ce schéma narratif. Pour le dire avec Guy Braun, le chien de Yoyimbo
se dirige, trottinant de biais, vers le héros, [lui] offrant cette main sectionnée
Et cette séquence inaugurale trouvera son explication, toujours selon Guy Braun, dans la dernière scène du film, dans le duel qui oppose le samouraï à son ennemi. Le premier lance son sabre dans l'avant-bras du second, qui tenait un pistolet. Je ne reviens pas sur l'analyse de Guy Braun, qui paraîtra limpide à qui a vu le film: ce que le chien apporte au héros avec cette main coupée, c'est l'intelligence incarnée dans le geste manuel, par opposition à sa délégation dans l'objet technique.
Mais chez Suétone aussi, et chez Flaubert qui sur ce point le suit, le chien apportait une main symbolique. Non symbole d'intelligence, peut-être, mais de maîtrise et de pouvoir. Cette main tient les rênes de l'Empire, et greffe en quelque sorte le corps du roi sur l'aspirant-empereur.
A ce schéma narratif identique, il faut ajouter la dimension "proleptique" du geste. Prodige prophétisant le règne ou scène inaugurale en avance sur la fin du film, dans les deux cas, le récit de la main coupée annonce la maîtrise à venir. En d'autres termes, et comme à Vespasien son sceptre, le chien apporte son sabre à Sanjuro.
So excipit pour l'heure les chiens coupés de Kurosawa
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