mardi 18 janvier 2011

Bras coupé sur dos de chien

Tant que j'y pense.

Faisant suite à une discussion sur la main coupée dans la gueule du chien de Yoyimbo, a. e. m'envoie cet extrait de manga :

Le chien est blanc et l'image provient de Fullmetal Alchemist, d'Hiromu Arakawa.

Cela pointerait vers une référence japonaise commune ? vers une citation de Kurosawa ? vers Monsieur Hasard ?

Excipiunt les bras cassés des mains coupeés des chiens crevés

Un jeu de mot de Flaubert ?

Dans un passage de Madame Bovary biffé à la dernière minute, Homais palabre sur les dangers, la nuit, de la lecture:
le nerf optique continuellement obligé de porter au cerveau les sensations, l'ébranle, il le commotionne, il travaille à la façon d'une tarière qui serait adaptée contre lui pour le perforer - et de là, palpitations, dégoûts, perte de l'appétit, les digestions se font mal, l'innervation se trouble, c'est la veille qui se change en rêve, le rêve en veille; le sommeil s'il se présente est perpétuellement agité par des épistomachies autrement dit cauchemars, et bientôt arrivent les différents phénomènes de magnétisme et de somnambulisme, avec les plus tristes résultats, les plus déplorables conséquences
Il y aurait long à dire sur ce passage, qui va de la lecture nocturne au somnambulisme en passant par une réécriture pseudo-scientiste de Shakespeare. Ici, je voudrais seulement indiquer un calembours probable de Flaubert.

Homais parle d'épistomachies. Le terme est inconnu des dictionnaires de médecine. Je ne peux pas absolument exclure qu'Homais ne l'ait lu quelque part, mais je pense plutôt qu'il le forge sur l'instant, et que Flaubert en profite pour rire par dessus son épaule.

Il faut rappeler qu'au XIXè le cauchemar n'est pas qu'un mauvais rêve. C'est un phénomène à part entière, le dernier maillon d'une chaîne des superstitions qui faisait du cauchemar un démon venu en visite, la nuit, peser sur l'épigastre du dormeur.

Selon l'élégante formule de Sophie Bridier:
Le cauchemar est un démon qui chevauche le dormeur.
Ainsi, l'étymologie de Littré garde trace de ce passé récent, dont les tableaux de Füssli ont laissé une image éloquente:


Si l'on recompose l'analyse que Littré donne de l'étymon, le cauchemar serait en effet un démon qui foule, ou un incube qui pèse. Quant aux définitions, voici:
1° Sentiment d'un poids incommode sur la région épigastrique, pendant le sommeil, avec impossibilité de se mouvoir, de parler, de respirer ; état qui finit par un réveil en sursaut après une anxiété extrême. Avoir le cauchemar.

2° Par extension, tout rêve effrayant. Ma nuit a été troublée par des cauchemars horribles.
Épigastre nous rappelle le mot d'Homais. Littré donne pour étymologie à épigastre:
Terme grec provenant de deux mots se traduisant par : sur et estomac.
La forgerie d'Homais serait donc un calque au pied de la lettre :

Épistomachie
= épi + stomachie
= épi + stomachus + suffixe médical en -ie
= pathologie qui porte (et pèse) sur l'estomac

Et maintenant, quelques remarques.

1° Homais s'écoute parler. Il ne forge pas "épigastrie", mais "épistomachie". La première raison, me semble-t-il, c'est qu'il veut en imposer. En troquant "stomachus" à "gastèr", le mot est plus pédant, et il fait plus savant. Plus barbare, aussi: on pense à la tauromachie, il s'agit de lutter contre ce démon qui vient s'assoir sur votre estomac. Lutter de toute votre science, s'entend, et qui est grande, comme voyez.

2° Le problème: qui veut faire docte, fait l'inepte. En forgeant le barbare épistomachie, Homais forge un barbarisme, un mot hybride grec-latin, qui connote à merveille sa mauvaise assimilation des sciences dont il fait montre. Un peu de grec, un peu de latin, et l'on a l'homonculus sapiens du nom d'Homais. Et ses tirades: grand tourniquets de mots dans des hoquets de science.

3° D'ailleurs, dans sa tirade, ce qui embraye sur le rêve, c'est la mauvaise digestion. Et le mot "estomac" étant reconnaissable, il faudrait plutôt traduire : maux sur l'estomac. Et se souvenir du Dictionnaire des idées reçues :
ESTOMAC - Toutes les maladies viennent de l'estomac.
La pseudo-science d'Homais rejoint les préjugés qu'il prétendait combattre (d'emblée: lors de sa rencontre avec Charles et de sa première sortie pseudo-scientifique sur le climat d'Yonville).

4° Il n'est pas impossible que Flaubert, sur ou sous ce mot hybride, ait recomposé un mot-valise grec-grec. L'œil en effet hésite entre épi-stomachie, et épisto-machie. Or, et à un "mais" près, on obtiendrait l'épistémè, la science, la connaissance. Par ce mot-valise Flaubert signifierait cette guerre civile des connaissance au pays de la bêtise incarné par Homais, cette bêtise qui se mêle de sciences, précisément, et les emmêle, les mélange, les recombine et les recrache, dans une indescriptible épist-Homais-chie.

Le calembours était presque parfait : il corrigeait Homais en le citant. Il l'écorchait en l'exposant. Il le raillait dans son piaillement. C'était le savoir venu botter le train à la prétention de savoir. Le jeu de mot fondait en lui le point de vue du personnage et le contre-point de vue de l'auteur, le contentement du fat et son ridicule, la pseudo-science du pharmacien et sa déconstruction par le fils de médecin devenu homme de lettres, bref, la bêtise et son processus.

Excipit le cacalembours homaisien


mardi 11 janvier 2011

D.I.L. is not dead

L'échange s'est fait dans le train qui m'emmenait à la campagne pour Noël. Un père et un fils sont assis côte-à-côte. J'écoute, avec plus d'intérêt que je n'en montre, leur conversation. Dont je transcris ici cet extrait, tel que mes mains ont pu l'attraper sur le carnet que je tenais ouvert sur les genoux:
…Ils ont voulu nous emmener à la table où ils déjeunaient avec Paulette, pis où ils avaient déjeuné avec Michel.

- Tu veux dire avec ton père ?

- Oui, c'est ça, avec ton grand-père. J'le dis avec leurs mots, si t'aimes mieux…
Excipit le discours indirect ferroviaire

lundi 10 janvier 2011

Baudelaire, p(r)êcheur baroque


En fouinant sur le net, ce début de Laïs déchirée:
L'Esprit qui sort du vin, & qui fait les Bacchantes,
Cét ardent ennemi des ames temperantes,
N'a pas à cette troupe inspiré la fureur,
Dont le tragique effet nous donne de l'horreur.
Ces Barbares d'ailleurs ont la teste échauffée,
Que celles qui jadis déchirerent Orfée,
Un feu plus dangereux à leurs ames s'est pris:
Un plus mauvais Genie obsede leurs espris.
Le sang noir & bruslé qui leur teint le visage,
Montre que c'est du cœur, que leur vient cette rage.
Chacune a son Demon, chacune a dans le sein,
Un serpent qui l'anime à ce cruel dessein,
Qui d'un venin sanglant nourrit sa frenesie,
Et souffle sur le feu dont son ame est saisie.
Tiré des Poésies du révérend père Le Moyne, de la Compagnie de Jésus (1650)

Pour soutenir le souvenir de la mélancolie aduste dans L'Héautontimorouménos (1857):
Ne suis-je pas un faux accord
Dans la divine symphonie,
Grâce à la vorace Ironie
Qui me secoue et qui me mord ?

Elle est dans ma voix, la criarde !
C'est tout mon sang, ce poison noir !
Et sans pousser plus loin.

Excipiunt les serpents d'ironie aduste

dimanche 9 janvier 2011

Chocoglas

Une petite entorse à la règle : point de chasse au sens, ici, même minime, mais le hasard d'une image trouvée sur un site danois consacré à la danse des morts:


Excipit l'entorse à la règle

jeudi 6 janvier 2011

Gustave Flaubert chez le teinturier


Dans Madame Bovary, Charles est envoyé à la ville pour étudier la médecine. "Sa mère lui choisit une chambre, au quatrième, sur l'Eau-de-Rebec, chez un teinturier de sa connaissance". Charles habitera donc le quartier des teinturiers, "ignoble petite Venise" où se déversent les teintures dans la rivière.

Après la parution de Salammbô, l'historien Frœhner reprochera à Flaubert de "nous parle[r] de la rue des Tanneurs, du faubourg des Parfumeurs, du quartier des Teinturiers", dont il n'avait aucune preuve tangible. Flaubert concèdera n'avoir "aucun texte pour [lui] prouver qu'il existait une rue des Tanneurs, des Parfumeurs, des Teinturiers", mais que c'est "en tout cas une hypothèse vraisemblable".

Antoine, en 1874, hallucine Alexandrie:
Sur l' uniformité des maisons blanches, le dessin des rues jette comme un réseau noir. Les marchés pleins d' herbes y font des bouquets verts, les sécheries des teinturiers des plaques de couleurs, les ornements d' or au fronton des temples des points lumineux
La scène date de 1874 et n'apparaît pas dans les versions précédentes, antérieures à Salammbô. Flaubert persiste et signe, faisant la nique à l'historien: une ville antique, ça a des marchés-aux-herbes et des quartiers de teinturiers (les tanneurs et les parfumeurs, peut-être, se prêtant moins à une hallucination visuelle).

Mais ce ne sont pas les seuls teinturiers de La Tentation. En 1856, il n'y en a pas. Mais dans la toute première version, il y a une occurrence, qui ne peut être influencée par Salammbô, et pourtant...

Il s'agit de l'épisode vampirique. Apollonius de Tyane délivre un disciple de sa future épouse, une empuse.

La scène ne se passe ni en Alexandrie, ni à Carthage, mais à Corinthe. Voici le passage qui m'intéresse:
Ce disciple s' appelait Ménippe. Un soir il rencontra une femme qui le prit par la main. [...] Cette femme lui dit qu' elle était phénicienne et qu' elle demeurait près de la ville, dans le faubourg des teinturiers.
Puis Antoine demande grâce, et aux visions de s'en aller.

Ce qui est intéressant, c'est que dans le texte où Flaubert a puisé, et qu'il avait pris en notes quelque temps plus tôt (manuscrit consultable en ligne sur Gallica, ici), Philostrate écrivait seulement :
Cette femme prit Ménippe par la main & lui dit qu'elle l'aimoit depuis long-temps; qu'elle était Phénicienne; qu'elle demeuroit près de Corinthe, dans un fauxbourg qu'elle nomma. (édition consultable sur GooBooks, )
Par la suite, le détail "par la main" et la précision de quel faubourg disparaissent.

Plusieurs choses. D'abord la coïncidence entre Corinthe et Carthage. Ensuite, que dans ces trois villes antiques, et à trois âges de sa vie, Flaubert imagine un quartier des Teinturiers. Enfin, si une "hypothèse est vraisemblable" entre toutes, c'est qu'une grande ville devait bien posséder son quartier de prostitution. Le quartier des teinturiers antiques serait le quartier de la prostitution.

La Phénicienne de 1848 semble justifier cette hypothèse. Carthage était réputée pour sa prostitution sacrée. Et le geste initial de l'inconnue est, au XIXe siècle, un geste caractérisé de racolage (#1). Flaubert aura donc interprété la leçon du texte ("un faubourg qu'elle nomma") comme un euphémisme, et il l'aura explicité par le quartier qui, pour lui, était le quartier par excellence de la prostitution.

L'hypothèse qui vient d'emblée est que Flaubert s'inspire de son voyage en Orient. Mais il y a un problème de dates: la première version du drame était terminée avant le départ. Resteraient deux hypothèses : l'hypothèse du document (préparatoire au voyage, par exemple). Et l'hypothèse rouennaise.

Je n'ai pas trouvé que le quartier rouennais de la prostitution ait un quelconque rapport avec l'Eau-de-Rebec. Mais

1) L'argument syllogique : Rouen était connue pour ses indiennes. Les teinturiers devaient donc former une partie importante de la population ouvrière. Le 19ème siècle liait prostitution et ouvriers.

2) L'argument sur lexique : Flaubert emploie dans sa Vie de Cruchard l'expression rouennaise : "parler purain". Littré précise : "langage des ouvriers de Rouen". Et les éditeurs : "vient sans doute des ouvriers teinturiers, qu'on appelait familièrement des purins, parce qu'ils utilisaient l'urine humaine pour la préparation de leurs teintures (Henry Moisy, Dictionnaire du patois normand, Caen, Deslesques, 1887)". Outre que cela confirme, par la langue, l'identification rouennaise de la figure de l'ouvrier dans celle du teinturier, un "purin" ou "purain" faisait un bon ménage de langue avec la putain.

3) L'argument suranné : de par son activité même, tout teinturier doit vivre dans une maison située au bord de l'eau (#2). C'est en déménageant chez le teinturier, dans ce premier [bordəlo], que Charles "prit l'habitude du cabaret [et] connut enfin l'amour"(#3).

4) L'argument de la marine : dans Bouvard et Pécuchet, quand les deux bonshommes regardent les passants passer et le chaland chauffer, paraît "une fille de joie, avec un soldat". Soldats et marins formant le contingent apparent des clients de la prostitution dans les représentations sociales. Or, dans Salammbô, Malqua est le nom unique du "quartier des gens de la marine et des teinturiers". Et l'on ne serait pas loin de penser : des marins et des maquereaux (#4). D'ailleurs, comme le fait remarquer Camille Saminadayar-Perrin, "les prostituées de Malqua sont les premières à rejoindre les mercenaires" (#5).

5) L'argument psycho-psychi : dans la cuve du teinturier est plongée l'étoffe qui en ressort rougie, etc. (#6)

6) Enfin l'argument symbolique : la "cuve" du teinturier apparaît d'ailleurs dans la correspondance et Hérodias. Elle mérite développement.

Dans la Correspondance, l'occurrence se trouve dans une lettre à Louise Colet, 1853 :
Est-ce que l'âme d'un Véronèse, je suppose, ne s'imbibait pas de couleurs continuellement, comme un morceau d'étoffe sans cesse plongé dans la cuve bouillante d'un teinturier ? Tout lui apparaissait avec des grossissements de ton qui devaient lui tirer l'oeil hors de la tête.
La cuve du teinturier ressemble à un chaudron d'enfer où le génie créateur est plongé. Que le génie soit un peintre aide à la comparaison, mais on sait combien la couleur comptait pour Flaubert qui voyait Madame Bovary en gris et Salammbô en pourpre.

Du reste, la violence contenue dans cette image explose dans l'anathème de Jean-Baptiste:
Il faudra, Moab, te réfugier dans les cyprès comme les passereaux, dans les cavernes comme les gerboises. Les portes des forteresses seront plus vite brisées que des écailles de noix, les murs crouleront, les villes brûleront ; et le fléau de l'Eternel ne s'arrêtera pas. Il retournera vos membres dans votre sang, comme de la laine dans la cuve d'un teinturier. Il vous déchirera comme une herse neuve ; il répandra sur les montagnes tous les morceaux de votre chair !»
Le teinturier teint les étoffes, mais surtout, il les rougit.

Or (psycho-psychi's back) la violence qui fait couler le sang en abondance est, chez Flaubert, avant tout une violence sexuelle. Les noces de Luxure et de Mort sont, sous sa plume, sanguinaires en diable. Ici-même, d'ailleurs, on pourrait, à côté du cyprès funèbre et du caveau-caverne, relever la présence du passereau, avis salacissima (voir ), et des gerboises, décrétées impures par le Lévitique.

Bref, dans la cuve du teinturier mitonne l'ombre du Marquis de Sade.

Excipiunt les prostitutions teinturières

mercredi 5 janvier 2011

Judith et Holorioz

Je découvre au hasard du net à la fois la peintre et son image :


Le peintre s'appelle Jeanne Lorioz.

J'ignore le titre du tableau, mais la tête sectionnée et le glaive à terre laissent à penser qu'il s'agit de Judith ayant tranché le cou d'Holopherne, et s'apprêtant à brandir le chef sanglant par les cheveux.

Ce que j'aime bien dans cette image, c'est que la peintre a pris le point de vue de Judith. Et les bords du cadre re-tranchent le buste de l'image, coupent la tête une deuxième fois.

Excipit caput kaputt



mardi 4 janvier 2011

main coupée dans gueule de chien

Anne Mounic et Guy Braun co-dirigent Temporel, revue "littéraire & artistique", en ligne.

Le numéro 5, paru mai 2008, était consacré à "La Main".

L' article de Guy Braun portait sur la scène initiale de Yoyimbo.


Le motif est celui du chien tenant dans sa gueule une main tranchée. Guy Braun évoque un souvenir d'enfance de Kurosawa, et sa culture littéraire occidentale, notamment La Main enchantée de Nerval. Celles de Verlaine, de Maupassant.

Pour sa part, l'article d'Anne Mounic revenait précisément sur "Les Mains de Nerval, Maupassant et Verlaine", en posant cette question : "Que dit la main de gloire, d'écorché, d'embaumé ?"

On pense en réponse à la main brûlée de Flaubert.

Et on repense à ce passage de La Tentation, où se chevauchent les voix d'Apollonius de Tyane et de Damis, son disciple, c'est-à-dire où se croisent les voix de Suétone et de Philostrate. Damis-Philostrate racontant l'histoire de la vampire démasquée par son maître.

Quant à Suétone-Apollonius, voici son récit une fois qu'on l'a démêlé des paroles de Damis :
J' ai prédit l'empire à Vespasien.
[…]
étant donc à table avec lui, aux bains de Baïa...
[…]
Un chien entra portant à la gueule la main coupée d' un homme.
[…]
Le chien cependant rôdait autour des lits, et le monde voulait le chasser.
[…]
Mais moi je dis : "laissez-le, il sait ce qu'il doit faire".
[…]
Et le chien, quand il eut tourné quelque temps, déposa la main coupée sur les genoux de Flavius.
Ce qui se trouve à peu près dans Suétone :
Prandente eo quondam, canis extrarius e trivio manum humanam intulit, mensæque subjecit.
Que Désiré Nisard, en 1845, faisait traduire ainsi:
Une autre fois, pendant qu'il dînait, un chien étranger apporta de la rue une main humaine, qu'il déposa sous sa table.
Il me semble qu'il y aurait là - peut-être par l'intermédiaire de La Tentation - un écho lointain dans Kurosawa. Car dans le film aussi le motif répond à ce schéma narratif. Pour le dire avec Guy Braun, le chien de Yoyimbo
se dirige, trottinant de biais, vers le héros, [lui] offrant cette main sectionnée
Et cette séquence inaugurale trouvera son explication, toujours selon Guy Braun, dans la dernière scène du film, dans le duel qui oppose le samouraï à son ennemi. Le premier lance son sabre dans l'avant-bras du second, qui tenait un pistolet. Je ne reviens pas sur l'analyse de Guy Braun, qui paraîtra limpide à qui a vu le film: ce que le chien apporte au héros avec cette main coupée, c'est l'intelligence incarnée dans le geste manuel, par opposition à sa délégation dans l'objet technique.

Mais chez Suétone aussi, et chez Flaubert qui sur ce point le suit, le chien apportait une main symbolique. Non symbole d'intelligence, peut-être, mais de maîtrise et de pouvoir. Cette main tient les rênes de l'Empire, et greffe en quelque sorte le corps du roi sur l'aspirant-empereur.

A ce schéma narratif identique, il faut ajouter la dimension "proleptique" du geste. Prodige prophétisant le règne ou scène inaugurale en avance sur la fin du film, dans les deux cas, le récit de la main coupée annonce la maîtrise à venir. En d'autres termes, et comme à Vespasien son sceptre, le chien apporte son sabre à Sanjuro.

On aimerait poursuivre le motif, mais on a des vampires à faire passer à table.

So excipit pour l'heure les chiens coupés de Kurosawa