jeudi 29 avril 2010

Encore un Tragélaphe

Tragelaphus. Belon, Observ. feuillet 54, fig. feuillet 54, verso ; le tragelaphus, dit Belon, est semblable en pélage au bouc estain : mais il ne porte point de barbe ; ses cornes ne lui tombent point, qui sont semblables à celles d’une chèvre, mais sont quelquefois entorses comme à un bélier ; son museau et le devant du front et les oreilles sont de mouton ; ayant aussi la bourse des génitoires de bélier, pendante et moult grosse ; ses quatre jambes semblables à celles d’un mouton ; ses cuisses à l’endroit de dessous la queue sont blanches ; la queue noire. Il porte le poil si long à l’endroit de l’estomac et dessus et dessous le cou, qu’il semble être barbé ; il a les crins dessus les épaules et de la poitrine longs, de couleur noire ; ayant deux taches grises, une en chaque côté des flancs, et aussi il a les narines noires et le museau blanc, comme aussi est tout le dessous du ventre. Nota. On verra que cette courte description que Belon donne de son tragelaphus, s’accorde pour tous les caractères essentiels avec celle que nous donnons ici du mouflon.


C'est du Buffon, sur le Mouflon.

Excipit Tragelaphus Musimon

lundi 19 avril 2010

jeudi 15 avril 2010

6, rue de la femme sans tête

En complément de ce motif baudelairien, sadien, balzacien et autre de la femme sans tête, l'emblème XVI du théâtre des bons engins de Guillaume La Perrière (1544), emblème trouvé sur le site de Glasgow : ici



Excipit pour l'heure la femme sans tête

Tragelaphus & BoucCervier

Il est quelque peu troublant de constater que le hasard est plus traqueur que le traqueur. Une fois mes billets fagottés, je voulus feuilleter le livre d'Anneau. Je clique sur suivant, suivant, suivant, suivant, *suivant. Tiens, je retombe sur l'image des sophistes. Mes yeux glissent : du français. J'avais cliqué sans le vouloir sur "Next Search Result", au-dessus de "Next fac-simile" sur quoi précédemment j'appuyais... Décidément aujourd'hui, le hasard a décidé de m'en remontrer sur mon travail (cf. post précédent) Bref,

Voici la version françoise du livre de Barthélémy Anneau :

Resterait à démêler le cousinage de BoucCervier et d'Hircocerf

Pour l'heure,
Excipiunt les leçons du hasard

Actéon des seigneurs

Il s'agit des hasards du web, encore.

Je recherchais dans les emblèmes une trace de la chèvre crapahutant sur les sommets que l'on trouve dans le Bestiaire d'Aberdeen (ici). C'est comme cela que j'ai recroisé le chemin de cet Actéon des voleurs dans Alciat. Le sens tiré de la légende ovidienne n'intéresse en rien le texte de Flaubert, mais un scrupule ou le démon de l'exhaustion me prit et je fis un post pour en attester l'existence (cf. ce pré-précédent post). Puis je repris mes recherches hircines et tombai sur le grand-père de notre hircocerf national : un tragélaphe trônant en superlative place sur une image qui aurait pu être d'un paradis, mais qui était d'un enfer de sophistes (cf. post précédent). Je connaissais l'auteur de nom, mais non l'ouvrage. Je tourne donc la page et trouve :


Excipiunt les hasards du web

qui de tragelapho discutant

Le tragélaphe est - du moins par liens de l'étymon - aïeul de l'hircocerf. Discuté par Buffon, après Pline et compagnie. Il apparaît dans Saint Antoine, et j'ai traqué le tragélaphe dans les forêts de Saint Julien. Il se pourrait cependant que la filiation ne soit pas que formelle.

Car voici qu'en promenant mon hircocerf par le web au lieu de travailler, je trouve ce matin (tandis que je planchais sur une interprétation du bouc dans Julien) cette mise en garde sublime (trouvée sur cet excellent site) :


Vois lecteur, ce troupeau de sophistes disputant de Chimères, d'Hircocerfs, et autre gibier d'impotence imaginaire.

Le contexte est - j'imagine - celui d'une contestation de la disputatio scolastique par un ouvrage de la Renaissance, mais il est intéressant de voir que notre hircochimère du 17e siècle était peut-être en germe au siècle précédent dans le Tragelaphus de Pline.

Par ailleurs, l'ouvrage en question de Barthélémy Aneau, et porte un très beau titre : Picta poesis (1552), et il me dépare une coïncidence qui fait l'objet du post suivant.

Car Excipit Disputatio Hircocervi

Actéon des voleurs



Chez Alciat (par exemple ici)

Excipit Actéon des voleurs

dimanche 11 avril 2010

Délices des digues

En allemand, célibataire se dit ledig, lequel signifie libéré, débarrassé.

Célibataire quant à lui viendrait de caelebs "célibataire", à l'origine "obscure" selon Gaffiot, pas plus claire selon Rey, peut-être à l'idée d'être seul (en vieux slave) son quant à soi (en sanskrit), mais rétif à s'apparier à d'autres mots, et seiner Herkunft ledig.

Excipiunt les joies lexicales du célibat

jeudi 8 avril 2010

'cor une (to be complété)

Dans la famille Perdrix, je voudrais...

NB : à rapprocher du dicho español ?

Excipit la perdrix de trop

L'exégèse est une hygiène


Moi — Tu veux une tisane ?
Elle — Volontiers.
Moi — Je te préviens, c'est pas bon.
Elle — Pourquoi t'en bois alors ?
Moi — J'sais pas, j'aime bien, et puis c'est bon pour les insomnies.
Elle — Bon, bah donc c'est bon.
Moi — Hé hé, oui.
Elle — C'est quoi ?
Moi — Johanniskraut.
Elle — ...
Moi — Aucune idée en français. Attends. On a qu'à regarder sur Wikipédia, Jo-han-nis-kraut. Voilà. Et hop, la page française... "Millepertuis perforé". Tiens, je savais pas que ça se buvait.
Elle — Comme deux trous.
Moi — Hé hé.
Elle — Attends, regarde, ça s'appelle aussi "Herbe de Saint-Jean" !
Moi — Et alors ?
Elle — Ben, "Johanniskraut" !
Moi — Ah oui.
Elle — "Utilisée en médecine et largement popularisée pour ses effets antidépresseurs, la plante porte de nombreux surnoms dont le plus célèbre est celui d'herbe de la Saint-Jean". Par contre, ils parlent pas d'insomnie.
Moi — Ça alors !
Elle — Quoi ?
Moi — Antidépresseurs, là, comme dans la chanson !
Elle — Quelle chanson ?
Moi — Attends ! Attends ! Itunes... Tiens :
Moi — Il est quand même fort, hein ?
Elle — Mmm.

Excipient les herbes de saint Georges

ref (lion et porc-épic)


peut-être faudrait-il aller voir

mercredi 7 avril 2010

Un jour je lirai Moby Dick


Pour l'heure, je m'amuse de ça :
We must have Hedgehog there, I mean Quohog, in one of our boats.
de ça :

et de ça :


Excipiunt Les Hérissons d'Herman Melville

oiseau balai

Parmi les animaux fantastiques (licorne, harpie, griffon, etc.) qui habitent cet Eden ci-avant cité:


L'espèce d'oiseau-balai qui passe en haut du cadre, entre geai et perdrix-caille, m'intriguait tout particulièrement.

Le hasard de la traque l'a fait fuser dans mes filets, via le Camerarius :


Petit plaisir de chasse, voilà tout.

Et du balai, l'oiseau balai

Joachim Camerarius


En feuilletant l'édition en ligne sur Archive du Symbolorum & emblematum ex re herbaria desumtorum centuria de Joachim Camerarius (édition de 1654) dont parlait Marcus Hellyer, on trouve au hasard des pages :

une Panthère attaquant un lapin : aut capio, aut quiesco

un loup cervier (dément?)

des licornes (à la vierge, au trésor, aux serpents et fontaine je boirai quand même de ton eau)

des perdrix (voleuse d'oeufs et pressées de naître)

un paon qui se pavane en tout bien tout honneur

des grues volant en silence pour éviter les aigles

un élan bien dessiné (comme chez Gesner ?)

un cerf aux prises avec un aigle

un cerf, de l'eau et des serpents, et puis un cerf blessé et un cerf déchirant les serpents

A ce dernier sujet, voir aussi Les Halieutiques d'Oppien :
Dans les forêts, un cerf au bois fourchu qui parcourt les bois fréquentés des serpents (11), flaire, trouve leurs traces, parvient à leur repaire, en fait sortir un de ces reptiles, et se presse de le mettre en morceaux, dans le temps même que l'animal se roule autour de ses jambes, de son cou, de sa poitrine, et que ses tronçons à moitié dévorés jonchent la terre ou sont broyés sous sa dent rapide ; ainsi se replient les parties en mouvement du malheureux poulpe.
Et la note qui renvoie à La Chasse.

A suivre

La guerre du lézard et du hérisson

Tout vient de cette image-ci :


Je racontais (dans un article ou ma thèse, je ne sais trop encore ce que cela deviendra) comment l'artiste (Jean Mignon, de l'école de Fontainebleau, sans doute sur un dessin de Luca Penni) avait agencé le bas du tableau en couples d'animaux ennemis, pacifiquement réunis dans le Jardin d'Eden.



Il y avait à l'avant-plan le lion et le lièvre, à l'arrière plan le chien et le cerf. J'ajoutais à cela, qui renforçait l'unité de cette frise à symétrie axiale, une autre organisation, de type humoral: le lion représentant le tempérament colérique, le lièvre (et le chien qu'on devine assis derrière lui) le mélancolique, le cheval (+ biche et chiot au second plan) le tempérament sanguin.

J'en venais donc au couple lézard/hérisson, clairement identifié en bas à droite de l'image:


Et je voulais en évaluer le statut de couple antagonique et flegmatique. Il était d'autant plus important pour ma démonstration que le peintre en avait précisément accentué le caractère de couple : le nez du hérisson pointant vers le lézard, sans agressivité.

De même j'aurais voulu pouvoir signifier un renforcement de l'effet de symétrie par un renvoi textuel au lion que je subodorais.

En comparaison des deux autres, je pensais que la toute première tâche serait un jeu d'enfant, ayant de mon enfance souvenir que le hérisson combattait les vipères. Mais c'est l'inverse qui se produisit.

Pour ce qui était du tempérament, en effet, ça alla comme sur des roulements à bile: je ne précise pas, mais les deux bêtes pouvaient représenter le flegmatique. Pour ce qui était de la symétrie axiale organisant cette frise, le porc-épic-hérisson, me disait cette source peu sûre, très pieuse et par trop anachronique, était réputé plus fort que le lion. Quant au statut de couple antagoniste, cette autre illustration...


...ne laissait guère de doute :


Mais j'aurais voulu le prouver par A + B et non par Art + Bild

C'est là que les soucis commencèrent. Internautes itinérants, piocheurs de pixel, chercheurs d'or frais, exploiteur de web minier, grand quêteur devant l'e-ternel, ne cherchez jamais la petite bête dans le coin inférieur droit du tableau !

Rien dans Pline, dans Aristote, et consort.

Le hérisson est seulement censé rapporter à ses petits les fruits (pommes ou raisins) piqués dans ses piquants. Cela peut rappeler l'écureuil qui court les noisettes à l'autre extrémité du tableau de Jean Mignon, éventuellement les apéritifs du dimanche, avec ces hérissons hérissés de cure-dent au gruyère et à l'oignon blanc, mais guère servir de déclencheur à la guerre au lézard.

Il me restait toujours à prouver :

1. que le lion et le hérisson avaient quelque raison d'être ainsi placé en face-à-face distant et symétrique
2. que le lézard et le hérisson sont ennemis jurés

Devant la difficulté de la tâche, je me contenterais, dorénavant, et étant données les confusions et possibles contaminations, de prouver qu'il y avait bien :

1. face-à-face possible entre lion et porc-épic
2. guerre entre hérissons et serpents

Pour le premier point, je n'avais guère que la source susdite, et l'adage suivant d'Erasme:
Multa novit vulpes, echinus vero unum magnum
Qui était un premier pas vers la suprématie, mais à foulée de hérisson.

Pour le second point, voici la note que je rédigeais pour ledit article en cours:

Le statut de couple antagonique formé par le lézard et le hérisson, m'est apparu de même que je le décris ici : par un effet de structure dans la première gravure, et par une opposition explicite dans la seconde. J'ai cherché sans le trouver un texte qui confirmerait ce que la peinture affirme. Selon Pline, le lézard a bien des ennemis, mais ce serait les serpents (Hist, 8, 51) et l'escargot (Hist, 8, 60). Le hérisson n'y a d'ennemi qu'humain (Hist, 8, 56). Bref, je ne l'ai pas encore trouvé ni chez Pline ni ailleurs, mais voici quelques éléments. Tout d'abord, le hérisson est effectivement un chasseur de serpents, sinon de lézard, et notamment de vipère, étant insensible au venin. C'est une chose qui sans figurer dans les bestiaires ne manquaient pas d'être sues dans les campagnes et a bien dû paraître dans quelque livre de zoologie avant le 19e siècle où je l'ai trouvé (ici). Il figure dans des extraits d'un naturaliste arabe du 15e siècle (ici), traduits et placés en annexe de La Chasse d'Oppien au 18e siècle. Ensuite, un couple antagonique bien attesté quant à lui fait s'opposer le crocodile (une sorte de gros lézard...) et l'ichneumon. Mais je ne vois pas comment on serait passé de l'ichneumon au hérisson. A moins d'y voir une sorte de métonymie de lecture... Car dans la même Chasse d'Oppien, le porc-épic – l'animal le plus redoutable des forêts – précède immédiatement la lutte légendaire du crocodile et de son mortel ennemi (ici). Enfin, il se trouve que le verset du Lévitique où ces deux bêtes immondes apparaissent est un de ces versets qui ont posé problèmes aux divers commentateurs. Et le hasard veut qu'Anakah ait tantôt été traduit par lézard, tantôt par hérisson... (voir par exemple ici)

En passant, la description de la guerre que mène le hérisson à la vipère dans le texte ci-devant allégué conviendrait tout à fait à la posture menaçante du premier encontre le lézard dans la seconde illustration qui nous occupe.

A cela s'ajoutait une fable d'Esope sur un hérisson prenant refuge dans un trou de serpent, puis, le danger passé, refusant de décamper, étant le plus fort des deux. Le serpent se voit alors contraint d'abandonner son logis à l'impudent animal. Cela supposait sans doute une animosité latente entre les deux animaux, mais enfin, ce n'était pas non plus tout à fait convaincant.

Vue la date des deux gravures (16e siècle pour la plus récente), je subodorais la source dans Gesner ou un quelconque livre d'emblème.

Un passage à l'anglais me montra que c'était la piste, en effet, et qu'elle était bonne.



L'echinus débarque dans les bestiaires avec Camerarius, se multiplie dans Gesner (Historia animalium Lib. I de quadripedibus viviparis, Zurich, 1553, 1, pp. 399-409) et prolifère avec Aldrovandi (De quadrupedibus digitatis, Bologna, 1637, pp. 459-70).

Le dernier est un peu tardif, le second est en latin, commençons par regarder les images du premier...

Malheureusement, ce qui est disponible chez Camerarius, c'est notre présentoir à fruits et à groin de cochon (le hérisson ayant longtemps été divisé entre deux sous-espèces à truffe de chien ou à groin de cochon. Buffon discute encore longuement ces allégations):

Mais "à quelque chose malheur est bon" (Charles Baudelaire) et le gentil porc-épic nous dédommage quant à lui royalement :


Le texte nous explique que la couronne au-dessus de sa tête vient de ce que Louis XI avait pris l'animal pour emblème. Une autre occurrence de couronne volante plane dans le même livre au-dessus d'une louve, par égard pour les fondateurs de Rome. Toujours est-il que voilà notre porc épineux entré au club des rois des animaux (tête couronnée exigée), ce qui, avec la confusion permanente entre les deux bêtes, suffit à expliquer la mise en symétrie, dans notre gravure, du lion et de son compère hérisson. CQFD le petit 1.

Restait le petit 2, id est à éplucher Gesner.

Sa somme est consultable en ligne sur le site du Göttinger Digitalisierungszentrum (ici), et l'on trouve en effet, à la page 404, après le hérisson thésauriseur de fruit et le hérisson combleur de terrier selon la direction du vent, la guerre tant espérée:

C'est-à-peu-près-dire:
Le serpent et le hérisson (comme le rapporte Oppien au livre II de sa Pêche) brûlent d'une haine réciproque. C'est pourquoi lorsqu'ils se rencontrent en leurs repères [communs: voir la fable d'Esope], le hérisson se met bientôt en boule, de sorte que ses piquants seuls dépassent. Le serpent, cependant, fond sur lui, et s'emmêlant dans ses piquants, il le mord en vain. Plus il resserre son étreinte en l'entourant de ses anneaux, plus il enfonce ces fines aiguilles dans ses propres chairs et se blesse. Quelque endommagé qu'il en soit, et tant qu'il n'en meurt pas, il n'abandonne pas la partie. Mais tantôt les deux meurent l'un sur l'autre, tantôt le hérisson en réchappe, et emporte des bouts de serpents morts ou le cadavre au grand complet encore accrochés aux piquants.
C'était donc bien sous la roche d'Oppien qu'il fallait chercher l'anguille et l'oursin, mais je n'eusse pas imaginé qu'il fallût pécher là nos bêtes, au milieu de leurs cousins salés. Son texte vaut citation, d'autant qu'il redonne un peu plus de brio à notre ami hérisson. La comparaison vient du combat du crabe et de la murène (et la traduction de cette page) :
Tels sont les combats que se livrent sur la terre, dans le fond des bois, le serpent et l'oursin épineux lorsqu'ils viennent à s'attaquer. Dès que celui-ci soupçonne l'approche du funeste reptile, il se retranche, sous forme sphérique, derrière le rempart de ses longues et nombreuses épines qui lui servent de bouclier, et se traîne de l'intérieur. Le serpent, de son côté, se porte sur lui et l'essaie de ses dents gorgées de venin sur tous les points de sa surface circulaire ; mais ses efforts sont inutiles : quelque terribles que soient ses mâchoires, elles ne peuvent arriver jusqu'à son corps, à travers la fourrure épineuse dont il est enveloppé. Roulé en cercle, en masse globuleuse, il se meut, il se précipite en tours nombreux sur lui-même, et des piquants dont il est hérissé, frappe le reptile, fait couler de ses membres une sanie sanglante, et l'accable d'une multitude de blessures. L'odieux serpent le couvre aussi en entier des longs et robustes replis de son corps, le presse, le serre malgré les pointes horriblement aiguës dont il est percé de toutes parts. La fureur ajoute à son audace. L'oursin, ferme au centre de ses aiguillons, ne cesse de lutter de toutes ses forces, et ne gémit que malgré lui dans cette dure compression. Sous l'abri protecteur de la voûte cachée qui le recèle, il attend que son ennemi meure ; souvent il périt lui-même en l'accablant : ils sont ainsi l'un à l'autre un instrument de ruine et de mort. Souvent le malheureux oursin s'échappe, semble surgir du sein du reptile qui le tenait emprisonné, et en emporte à ses piquants les chairs expirantes. C'est à peu prés de la même manière que la murène tombe victime du crabe : elle est pour lui une nourriture dont il est avide et qui flatte son goût.
De même Oppien compare les mouvements du poulpe à ceux des serpents s'enroulant en vain autour des pattes du cerf qui les déchire.

Pour revenir à Gesner, j'ai cru un moment qu'il traitait le porc-épic juste avant le lion, à cause de cette page...


...qui commet des coupes franches dans le livre, et en réalité les deux biesteletes sont distantes d'un bon centimètre d'épaisseur papier. Mais s'il ne s'agissait que de les faire se rencontrer sur une feuille, en voici une, et médiévale encore:
(harponnée , et glose ici)

Vous me direz, avec tout ça, on n'a pas encore vu combattre un lézard et un hérisson, et moi je vous dis: si, en gravure.

Et hop ! excipit la guéguerre de M. Espinard et Mlle Lison

dimanche 4 avril 2010

More sur Borges


Toujours dans le même texte, Borges écrit:
En la página 177, el señor Fabureau (precedido, es verdad, por el señor Henri Charpentier) revela que ahí donde la versión definitiva de "Palme" dice: départage sans mystère, la primera decía: départage avec mystère.
Esa contradicción (esa inocente modificación, mejor dicho) provoca este comentario insensato: "De una edición a otra, el sentido de la estrofa ha sido invertido. Paul Valéry se burla de sus lectores". Paul Valéry, si se dignara, podría contestar muchas cosas. podría contestar que la inversión de un adverbio en un verso (digo adverbio, porque avec mystère equivale a mystérieusement) no invierte el sentido de la estrofa. Podría contestar que un poeta que se relee puede juzgar que la palabra "sin" es menos inexacta o más eficaz en tal sitio que la palabra "con". Podría contestar que un hecho estético (lo corrección de una palabra) no puede autorizar un juicio moral (la imputación de burla).
Je ne connais pas de meilleure glose aux variations des vers 12 et 13 du Guignon de Baudelaire:

- En 1857 :
Mainte fleur épanche en secret
Son parfum doux comme un regret
- Et en 1861 :
Mainte fleur épanche à regret
Son parfum doux comme un secret.
Mais les Fabureau sont rares parmi les baudelairiens généralement dévots de leur objet.

D'ailleurs, cette vindicación de Valéry conviendrait tout aussi bien pour gloser les variantes apparemment contradictoires d'autant de poètes qu'il y a de lecteurs et de prédilections.

Il me semble y avoir plusieurs raisons à cela.

La première raison est sentimentale. De telles variantes donnent une apparence de faiblesse à leur auteur. Tout d'un coup le démiurge est pris la main dans le sac, et c'est une main d'homme. Au fond, on le savait bien et cela ne devrait pas poser problème, au contraire, et comme dit Freud de Léonard, on devrait bien penser que ... On sait tout ça, mais, comprenez-vous, il faudra quand même bien défendre nos grands hommes contre les Fabureaux de tout poil qui ne manqueront pas de venir nous les attaquer. Et si du haut de sa tour d'ivoire, soeur Anne n'en voit pas un venir, il se pourra tout aussi bien que nous ayons en nous de petits soldats Fabureaux soulevés par nos propres peurs Fabureaux et qui voudraient bien pouvoir Fabureau renverser nos idoles eux aussi. Flaubert dit bien que la bêtise attire le saint et les yeux du Catoblépas médusent qui le regarde. Bref, on sait tout ça, disais-je, mais si quelqu'un, dehors ou dedans, vous demande ce que signifie cette variante, vous répondrez quoi, hein ? Or, le texte de Borges non seulement répond, mais rétablit l'ordre naturel. Il change un point faible en point fort. Le champ qui gronde aux sources de la création retourne au geste créateur, le sceptre rejoint le calame dans la main du poète, et l'art demeure cette affaire privée qui concerne l'artiste et son œuvre. Est intrus quiconque veut le sortir de cet échange pour en faire autre chose que le don au lecteur. Le critique avait déplacé le problème, il s'agissait de le reposer (et il s'agirait quant à nous de reprendre tout ça, le ramasser).

La seconde raison est donc d'ordre général. Cette défense de Valéry est aussi une défense pro domo du poète et de la poésie. Là encore, je pense pour ma part au genus irritabile vatum de Baudelaire dans son projet de Lettre à Jules Janin: le flegme en plus et la colère en moins. Mais cessons de citer Baudelaire, Borges n'en était guère féru.

La troisième raison est de l'ordre de l'aléthique. Cette défense n'est pas seulement rassérénante et générale, elle est fondamentalement vraie.

La quatrième raison est esthétique, ou plutôt : musicale, et c'est une reformulation de la précédente. Elle se définit par l'absolue justesse de ton.

Et la dernière raison, enfin, m'est personnelle et concerne à la fois la sensibilité de Borges à la façon dont Fabureau parle de Valéry, et sa propre façon de parler de ces deux-là. Je n'ai pas envie d'expliciter davantage cette raison. J'en dirai seulement ceci: ce à quoi je suis le plus sensible quand je lis de la critique, c'est la relation qui émane du texte entre l'auteur et l'écrivain que ce dernier s'est choisi pour sujet d'étude.

Toutes sortes de manières sont par ailleurs envisageables.

Excipit More sur Borges.

corrigé par borges


Il y a quelque temps, j'avais écrit, à propos de la JGF à qui Baudelaire dédie ses Paradis artificiels et que l'on pourrait éventuellement lire comme une allégorie de la poésie ou de l'inspiration:
Baudelaire dessinait Jeanne de mémoire dans son exil bruxellois. Et sans doute est-il préférable d'imaginer qu'une « simple mortel[le] » motive la dédicace, que J.G.F. n'est pas pure chimère de papier, mais femme, être de sang, de chair, et de sueur. Il y aurait, sinon, risque avéré, toujours latent chez Baudelaire, de narcissisme. La trajectoire hors de soi tournerait court et retomberait en soi.
J'ai eu à l'intant l'impression de me voir morigéner par Borges en lisant, dans Un libro sobre Paul Valéry (Obras Completas, IV, Emecé, p. 364):
En la página 178, el crítico deplora que cierta imagen cariñosa de Valéry no se refiera a una mujer, sino a la inspiración. Ello es desconocer la naturaleza de las alegorías y de los símbolos que nos proponen verdaderamente una doble intuición, no unas figuras que se pueden canjear por nombres sustantivos abstractos. La hambrienta y flaca loba del primer canto de la Divina Comedia no es la Avaricia: es una loba, y es también la avaricia, como en los sueños.
Parions que je citerai ce texte un jour.

Excipit la borgésienne correction

Quand l'hircocerf n'a rien à dire


Il ne dit rien

Excipit de hircocervorum wittgensteinitate

samedi 3 avril 2010

D'où viennent les perdrix ?


Je ne fais là que répéter ce que j'ai dit tout à l'heure.

A savoir :

Et :

Ce qui nous fait deux références à vérifier.

Excipit Perdix


vendredi 2 avril 2010

Taissons de Dahu dans l'Enfer de Dante ?

En feuilletant la Pseudodoxia Epidemica, j'ai été surpris d'apprendre que le blaireau (ou taisson) avait été taxé de pattes plus courtes d'un côté que de l'autre. Brown rejette cette hypothèse mais indique qu'elle est généralement partagée, et ancienne.

Aussitôt, j'ai pensé au Dahu, et presqu'aussitôt après à ce passage obscur de L'Enfer de Dante :
Si che'l pie più fermo era sempre l'più basso
Je cite de tête, alors pincettes.

Et je furète, un peu, sur internet.

Dès la parution française en 2005, un lecteur de Brown avait fait le rapprochement sur son blog.

D'ailleurs l'édition en ligne de la sixième édition de l'original anglais (1672, et 46 pour la première) indique (ici) :
Topsell (Historie of Foure-footes Beasts, 1607, p. 34) reports that "some say" the legs are longer on the right than on the left and that therefore the badger "runneth best when he getteth to the side of a hill, or a cart-road-away."
Ce qui fait songer à la raison avancée pour notre Dahu national qui n'est courtaud que d'un côté, à savoir qu'il vit perpétuellement sur les pentes.

Et qui fait songer les songe-creux aux vers de Dante gravissant son colle giunto.

Wikipédia parlait aussi du Bitard en Poitou. Mais le rapprochement semblait là aussi formel: une chasse à la chimère dans les deux cas, à la chignole dans le second. Et pas de signalement de Bitard aux pieds torts.

Quand soudain j'appris au hasard d'un forum que le Bitardus Paradoxus conservé religieusement dans les murs de l'université de Poitiers était un être composite et composé d'une tête de fouine, d'un corps de carpe, d'une queue de paon, et... de pattes de blaireau !

Tout cela mêlant folklore charivarique et traditions orales se ressourçant à Rabelais, je n'ose exclure qu'un hasard, comme les trains, ne cache un hôte, et n'ose non plus le supposer tout à fait.

Fallait-il pousser plus loin les chiens ?

Du moins aurai-je trouvé ce réjouissant article qui m'apprend que le bitard est un butor, cause que je me réjouis, mais qui m'apprend - et je suis fort marri pour ne pas dire vexé de ne l'avoir point su - que la perdrix est "étymologiquement péteuse". Voici l'article (la perdrix pète à la note 45 de la page 79):



Et voici, pour être tout à fait composite, nous aussi, un tableau qui explique pourquoi me touche tout ce qui touche au boeuf-taureau des marais:


Elle est du grand Jean-Baptiste Oudry (grand ne signifiant rien d'autre que mon goût pour ce peintre) et vous pourrez la saluer pour moi au musée du Louvres, ou la consulter sur le site image de la RMN, ainsi qu'un plus célèbre autoportrait de Rembrandt, que je pourrai saluer pour vous.

Quant à Dante, on se demande un peu ce qu'il est venu faire dans ces chimères.

Excipiunt Les Taissons du Dahu

Fleurs bleues


Un étymon à vérifier :


(Trouvé ici, à propos des fleurs de Queneau)

Explicit lo roman des Fleurs bleues

Libre de s'ensabler


Internet est un livre de sable.

Ce que Borges décrivit avec précision en 1975, c'est ce qui était en train de naître au même moment dans les laboratoires informatiques des universités américaines.

(Au passage, le traqueur est content d'apprendre sur le net qu'un certain Vint Cerf, "parfois appelé le père de l'internet", s'est laissé prendre à son tour dans ses rêts)

Non tant que l'agressivité effrénée de force forains ne transforme non plus bien souvent la toile en livre d'arènes où des hommes araignées gladiatisent sans fin(esse).

Mais pour le nœud terrible qui fait le cœur de cette nouvelle, le cœur noué. Ouvrez le livre, regardez la page, regardez-la bien, vous ne la reverrez plus.

Exemple. Vous êtes en chasse sur le net. C'est nuit, de plus en plus nuit. Vous croisez des sites qui se meuvent à l'écran comme des formes animales. Soudain, une image sort d'une page. Elle vous plaît, vous l'abattez, c'est-à-dire la rabattez dans la mémoire de votre ordinateur et la chassez de la vôtre, sans prendre la peine de noter la page d'où elle était surgie, car en voici une autre, elle vous plaît, vous l'abattez, etc. Au bout de tant d'heures qu'elle ne signifient plus grand chose, vous allez dormir. Mais cette image que vous avez ramenée de votre traque nocturne dans les broussailles enchevêtrées du web, tandis que vous vous étiez si avancé dans la forêt des heures que vous ne pensiez plus à rien, ni n'aviez plus souvenir de rien, mais marchiez dans les halliers d'internet comme dans un rêve, comme l'autre, là
en chasse dans un pays quelconque depuis un temps indéterminé, par le fait seul de sa propre existence,
cette image, disais-je, a beau être rentrée dans votre ordinateur, la mémoire de ce dernier, comme la vôtre, se dit presque aussitôt: "cette tête me dit pourtant quelque chose..." Et vous même vous dites :

Mieux se retrouve aiguille en foin
Que page au pays plat des 0 et des 1
Dieu ! La Technique après le Diable
Greffe un nouveau visage à votre Irrémédiable !

Mais foin de ce lyrisme de supermarché.

J'ai effectivement il y a quelque nuits ramené de mes courses à l'image sur le net ce magnifique spécimen:


Et au matin je n'avais pas la moindre idée d'où pouvait bien se trouver l'ibère Éden où j'avais, semble-t-il, cueillie cette fleur de Coleridge éclose à mon écran.

Je sais le charivari qu'illustre cet Hippélaphe d'un genre nouveau, et pourquoi j'ai bien dû vouloir l'enfermer dans mon ordinateur, mais de la prise, aucun souvenir.

Angoisse. Car l'on est bien démuni, au royaume du langage, pour chercher une image...

D'ailleurs, cela vaut pour n'importe quel vague souvenir d'avoir lu ça quelque part, mais où ? La nouvelle de Borges peut aisément se lire comme une allégorie de la difficulté de remettre la main sur un souvenir qui s'enfuit (difficulté qui peut aller jusqu'à la terreur et qui prend dans la nouvelle la forme du cauchemar). Or, Internet est une image tangible du pays où tous ces souvenirs s'enfuient et l'expérience y est si commune, que tout lecteur de Borges et utilisateur du web a eu cent fois l'occasion de faire de ces deux idées un petit court circuit électro-encéphalique d'où jaillit le fiat lux qui fait tilt et la nouvelle idée. Pour ma part la première étincelle était venu du frottement de pages humaines.

Au hit parade des www, le site, et même l'explisite "chatroulette" fait son buzz depuis quelque temps. Il s'agit d'un serveur mettant aléatoirement en relation les webcams et les claviers des personnes qui s'y connectent, partout sur la planète (rencontres servies sur le plateau du net, donc). Un sommaire tableau de commande vous permet de cliquer pour changer d'interlocuteur, technique zapping. C'est-à-dire que vous n'avez à l'écran qu'un internaute à la fois. S'ils sont plusieurs, c'est qu'ils trichent et sont tous devant le même écran. Des statistiques amusantes indiquent "15% de pervers" en ligne. Mais entre pénis et braguettes, vous entrevoyez des visages et pouvez leur parler. Et si votre doigt glisse inconsidérément sur le touchpad tandis que la conversation prenait un tour intéressant, eh bien... zap ! Adieu visage.

L'anecdote me fut racontée, avec quelques regrets amusés dans la voix, par une amie s'entretenant avec un musicien à l'autre bout du monde.

Un éclair, puis l'écran. Livre de sable humain. (Qui se referme).

Excipit Libre de s'ensabler.

Les Dangers du Mirag(e)


Comme c'est bon, et dangereux, de pouvoir à nouveau piocher, plonger, puiser dans JSTOR & Consort en écoutant Hindi Zahra !

J'en ai profité pour vérifier quelque chose qui me turlupinait, à propos du Mirag dont on voit, dans la Tentation, pointer la corne de lièvre.

J'avais lu ici ceci :

hum...
Si pour le Mirag, les sources sont fidèlement reproduites, il y a beaucoup de fantaisie dans la falsification des données de l'érudition que pratique ici Flaubert pour les autres animaux . Il fabrique des monstres par des opérations linguistiques et par une dissémination au fil du texte des éléments tirés de ses lectures ou de sa mémoire .
Séduisant. Mais vrai ? Erat quod demostrandum.
Le Tragelaphus était un animal fabuleux des Grecs, puis ce nom fut attribué à une espèce réelle, une sorte de bouquetin décrite par les zoologistes de l'Antiquité : Flaubert garde la signification étymologique, la plus étrange .
Flaubert garde surtout l'animal fabuleux des Grecs.
Il en va de même pour le Myrmecoleo, nom grec d'un insecte connu en français sous la forme parallèle de fourmi-lion . Ce monstre aussi est issu d'un retour à l'étymologie.
Itou. Et puis, si peu prolixes, les exégètes ?

J'allai chercher Seznec ici, et continuai ma relecture.
Il [= le Myrmecoleo] hérite un trait attribué par les naturalistes à son voisin le lièvre, avoir les génitoires à rebours
Ingénieux, mais :

La "grande belette Pastinaca" porte le nom commun latin de la raie pastenague et devient chez Flaubert un quadrupède aux propriétés curieuses, proches de celles du dragon.
et
Presteros est le génitif du nom grec prhsthr, prèstèr, signifiant étymologiquement "qui brûle".
Or,

Enfin,
La Poephaga est une épithète grecque signifiant "herbivore", employée par Hippocrate et par Aristote et ici nominalisée.
Mais :
Bref,
Il faudrait chercher dans l'inventaire de ses livres, dans la liste de ses lectures pour trouver la source de cet emprunt [du mirag], qui mêle aux monstres de tradition grecque une créature venue du monde musulman et contribue à ce fantastique moderne, issu de l'accumulation de références savantes que signalait Michel Foucault.
Et en effet,

Et


En somme, tout se trouvait dans ce Bochard, cité par ce Xivrey (consulté par votre serviteur, pourtant, ici et , mais trop cursivement pour s'y être avisé d'aucun Mirag) et invalide l'hypothèse séduisante d'une création,
par des nominalisations, des retours à l'étymologie, des transformations de noms communs en noms propres, [d']un bestiaire fantastique fait pour surprendre, mais qui n'acquiert pas de valeurs symboliques.
Penser à écrire un mail à l'intéressé, et Excipit Les Dangers du Mirag(e)

jeudi 1 avril 2010

Les caprimules de Mlle de Maupin


On lit dans Mlle de Maupin de Théophile Gautier le passage suivant:
J'aime passionnément cette végétation imaginaire ces fleurs et ces plantes qui n'existent pas dans la réalité, ces forêts d'arbres inconnus où errent des licornes, des caprimules et des cerfs couleur de neige avec un crucifix d'or entre leurs rameaux habituellement poursuivis par des chasseurs à barbe rouge et en habits de Sarrasins.
Aucun dictionnaire ne semble connaître le ou la caprimule de Gautier, qui se répète d'édition en édition jusqu'à nos jours. Etant donnée sa place dans la phrase, on en déduit assez vite sa signification d'être hybride à mi-chemin de l'âne et de la chèvre. L'animal ne semble pourtant apparaître nulle part ailleurs. A moins qu'il ne faille y voir l'âne de Ctésias ou "l'animal pareil à un chevreau" du Physiologus, c'est-à-dire, dans les deux cas, de nouvelles licornes ? (La page Wikipédia sur la Licorne est bien faite et donne les références)

En fait, l'érudition de Gautier n'est pas celle de Flaubert. La caprimule signifie bien ce que l'on entend : une chimère composée pour moitié de chèvre et pour l'autre de mule. Mais elle est le résultat d'une altération graphique: Gautier a retranché son initiale du Caprimulgus des anciens:
Caprimulgi appellantur, grandioris merulae aspectu.
On appelle caprimulges (tette-chèvres) des oiseaux qui ont l'aspect d'un gros merle.
Le passage est dans Pline (Histoire Naturelle, X, 40, édition Budé, 1961, p. 67) et conte que l'engoulevent, puisqu'il s'agit sans doute de lui, était censé entrer de nuit dans les étables épuiser le pis des chèvres et les rendre aveugles durant leur sommeil (La Mothe Le Vayer en fera au XVIIe siècle un parangon d'ingratitude).

Qu'il s'agisse du caprimulge pour le signifiant, et de la capri-mule pour le signifié, on le subodore par cet emploi plus tardif dans le siècle, dans le journal Le Décadent :

Que l'onagre et que l'étalon gorgé de chair humaine; que la licorne et l'unicorne; que l'hircocerf et le caprimulge; que le guivre et l'alérion; que l'âne priapique aux dons joyeux, vocifèrent la louange de ce poète bien venu...

Le passage est cité par Ernest Raynaut dans sa Mêlée symboliste : portraits et souvenirs (1918). La commutation avec l'hircocerf ne laisse guère de doute quant à la manière dont la construction du mot "caprimulge" est perçue. Malgré le G, l'œil ou l'oreille reconstruit un capri-mula, en dépit de tous les mulgere du monde (mulgere = traire en latin). L'étymologie, toutefois, ne semble pas tout à fait oubliée ici, puisque la guivre qui fait suite au caprimulge est une manière de vipère (Littré fait dériver la première de la seconde), et que la vipère elle-même est censée têter les brebis dans les alpages... L'association vers l'alérion se fait quant à elle par l'héraldique, à partir de la Licorne, elle même engendrée par les cavales cannibales (sur ce point, voir ici). Mais la mule engendre à son tour, par dessus le guivre ou fécondé par lui, l'âne priapique (il est significatif que cette priapique guivre soit ici de sexe masculin). Tout se passe un peu comme si signifié et signifiant échangeaient leur places respectives: la connotation prenant le pas sur la dénotation, qui persiste à connoter envers et dessous tout.

D'ailleurs, en cherchant bien, on trouve une autre occurrence de "caprimule" chez Gautier lui-même, et cette fois, il s'agit bien de caprimulge:
Tous les songes pantagruéliques me passèrent par la fantaisie: caprimulges, coquesigrues, oisons bridés, licornes, griffons, cauchemars, toute la ménagerie des rêves monstreux, trottait, sautillait, voletait, glapissait par la chambre; c'étaient des trompes qui finissaient en feuillages, des mains qui s'ouvraient en nageoires de poisson, des êtres hétéroclites avec des pieds de fanteuil pour jambes et des cadrans pour prunelles, des nez énormes qui dansaient la Cachucha montés sur des pattes de poulet; moi-même, je me figurais que j'étais le perroquet de la reine de Saba, et j'imitais de mon mieux la voix et les cris de cet honnête volatile.
Ce texte (en ligne sur Gallica) fut publié le 10 juillet 1843 dans La Presse (il fut souvent repris, notamment par les aliénistes : partiellement en 1845 par Moreau de Tours dans son traité sur le Hachisch et plus exhaustivement par Brierre de Boismont en 1852 dans Des Hallucinations. Gautier lui-même l'insèrera dans L'Orient). Je le cite un peu longuement pour sa parenté évidente avec l'épisode des Animaux de La Tentation. Pour ce qui nous occupe plus directement, on voit que:

1. le terme désigne décidément chez Gautier un "être hétéroclite"
2. il lui témoigne une affection toute particulière (c'est le premier à ouvrir la série, quoique le moins connu)
3. il vient de Rabelais.

Le terme apparaît bien dans Pantagruel et c'est, nous dit-on, non seulement une transcription de Pline, mais la première apparition du mot dans la langue française. Nous sommes au pays de Satin et venons de voir défiler parmi les éléphants et autres rhinocéros, 32 unicones et la toison de l'Âne d'or d'Apulée:
J'y vy trois cens et neuf pélicans, six mille et seize oizeaux seleucides, marchans en ordonnance et devorans les sauterelles parmy les bleds; des cynamolges, des argathyles, des caprimulges, des thynnuncules, des crotenotaires, voire, dis-je, des onocrotales avec leur grand gosier; des stymphalides, harpyes, panthères, dorcades, cemades, cynocephales, satyres, cartasonnes, tarandes, ures, monopes, pephages, cèpes, neares, stères, cercopiteques, bisons, musimones, bytures, ophyres, stryges, gryphes.
Je n'irai point gloser tous ces animaux, mais les premiers sont, jusqu'aux panthères, des oiseaux.

Excipit Les caprimules de Mlle de Maupin